La
poésie de Michel Merlen m'interpelle et m'émeut depuis longtemps.
Je ne sais pas comment aborder cette poésie sans
en faire trop. Elle est proche de l'épure et de l'essentiel. Chaque recueil de l'auteur que j'ouvre depuis plus 25
ans m'inocule sa perfusion de tristesse et de désir mêlés. Presque incidemment, la nudité lumineuse de cette poésie
me retourne les tripes à chaque fois.
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Quelques-unes des publications de Michel Merlen |
Né en 1940 à Hyères et vivant en région parisienne, Michel
Merlen, « poète sincère et discret », se bat depuis
plusieurs années contre la dépression, la déréliction, sans
néanmoins jamais céder un pouce au malheur, « tentant
toujours de rejoindre », comme il l'écrit lui-même dans le poème
Noyau, « la galaxie du bonheur de vivre ».
En 2016, sa
dernière et fine plaquette « anthologique », Le prince des solitudes, a été publiée en catimini dans l'indifférence quasi générale. Je pense même que le poète, lui-même, n'a pas voulu
l'ébruiter.
Jacques
Josse - qui l'a bien connu naguère - parle de « ses poèmes
tendus entre le bleu du ciel et le fil du rasoir ». Il a visé
juste.
Je ne peux me résoudre à l'idée, qu'un jour ou l'autre, Michel Merlen n'écrive plus de poèmes. Jugez-en par vous-même...
Marine
Il
y a urgence
plus
rien ne bouge
jusqu'aux
os qui se taisent
ce
silence quel crime !
Il
y a des ennemis de la poésie
partout
pourtant
quand le long métro bleu
entre
dans le port
sous
les jeans
les
cuisses s'ouvrent.
Sept
mois
Sept
mois sans douleur
sous
anesthésie
sans
prendre une femme
sous
un ciel de lit.
Circuit
de la solitude
double
huit
à
la chaîne
un
maillon file
licenciement
Ma
tête parking vide
la
folie entre
sans
crier gare
Chaque
mot tu
avorte
une image
à
force d'atteindre le hasard
mon
regard banalise les villes.
Extraits de Le jeune homme gris, le dé bleu, 1980.
Numérique
Précédé par les sirènes de l'urgence
tu pars au travail
tu as peur des consoles des écrans
qui t'attendent
tu préfères regarder les épaules
des filles qui n'ont pas fini de grandir
le bureau immense
ressemble à une exposition Kafka
tu avales comme un voleur du tranxène
impossible de reculer
les chiffres sont là
avec leurs yeux froids
ils calculent ta valeur marchande
Extrait de Généalogie du hasard, le dé bleu, 1986.
Angst
il t'est arrivé un accident. Comme des
coups de maillet sur la mémoire à vif.
Les sapins bleus tournent. Angst pèse
sur chaque mot. Chrysalide de la pen-
sée. Encre ou rasoir. Les petits pas de
l'écriture brillent sur le givre. Ne pas
laisser se dilater les pupilles. Tu
dois rejoindre la meute des vivants.
Extrait de Borderline, Standard, 1991.
Une
promenade
L'air est pur comme une source
Le vent joue
de la guitare avec les arbres
les feuilles mordorées
réfléchissent le
soleil
une femme aux seins nus marche sur un
sentier
c'est le silence mais ce silence est gai
les
oiseaux rêvent
la jeune femme sourit de bonheur
et signe ce
parchemin
On a peur
quand on a soixante-deux ans
de
parler d'amour
Il est difficile d'être
sans avoir
été
J'écris
un couteau
à la main
et j'éventre le
vide
J'ai très peur de ne
plus être lu
Je n'ai pas
choisi les poèmes
que je te destine
ami, amitié
femme
nue
encre soleil
Inédit, publié sur le site du « Printemps des Poètes ».
Michel Merlen,
un article complet et fouillé de Christophe Dauphin sur le site Les Hommes sans Épaules.