Daniel Fano en 2011 (© photo Didier Lesaffre) |
Cher Daniel Fano,
Tu étais un poète que j'aimais beaucoup, amical, discret, attentif, pas grandiloquent pour deux sous, mais extrêmement talentueux.
J'ai découvert tes poèmes, pour la première fois, dans l'anthologie « blue jean » de Bernard Delvaille : La Nouvelle Poésie Française parue en 1974 puis à nouveau en 1977 chez Seghers. Tu y sortais du lot comme quelques autres poètes majeurs qui sont, depuis, devenus des amis rares, précieux, pour le jeune homme que j'étais alors...
Dans un mail de juillet dernier, tu m'indiquais, enthousiaste, que ton « dernier recueil », À la vitesse des nuages, allait être publié aux éditions Unes. Tu me parlais aussi de Lucien Suel, de Daniel Biga et de Pierre Tilman comme de compaňeros en poésie.
Je suis triste de cette nouvelle aussi inattendue que brutale. Mais, quand un poète meurt, ses textes s'éclairent d'une lumière plus vive, plus vraie. On relit alors ses livres, ses recueils dans le désordre des émotions. Et on s'aperçoit que le miracle de la poésie, lui, perdure toujours...
De notre correspondant
La radio, c’est de l’histoire
ancienne, comme un caillou tombé
dans les souvenirs, dans le crépitement
des ondes longues juste après la Seconde Guerre
mondiale, quand une chanson pouvait
encore vous
sauver la vie. Aujourd’hui, j’ai l’air songeur
et les traits tirés, j’ai passé la
baraque à la tronçonneuse et je voudrais qu’on
me dise, oui ou merde, si elles
existent vraiment les prairies
du Saskatchewan.
*
Dimitri le danger
On se dit : faussaire
est un bien triste métier, même
s’il se pratique au clair
de lune
On se dit : je devrais
enfiler un manteau dûment
mis en feu
par un de mes domestiques.
Mais on ne fait rien.
On se dit : je vais
continuer d’écrire des poèmes,
légers,
si légers,
de peur de passer à travers
le plancher
ou de déranger
les fantômes.
Extraits de La nostalgie du classique, Le Castor Astral, 2003.
*
Pour le centenaire de la mort de Mallarmé, les brouillards matinaux seront fréquents et ne se dissiperont qu'à la mi-journée. L'après-midi, le soleil sera plus généreux, on aura la peur au ventre à cause d'un léopard ou d'une ville dévastée. Le soir, on pourra rêver de pureté en regardant quelques sirènes blondes manger des bananes au fond de la piscine.
Extrait de Fables et fantaisies, Les Carnets du Dessert de Lune, 2003.
*
Pour 2021, tu préparais encore une grosse anthologie de poèmes (1969-1999) constituée, me disais-tu, de 2/3 d'inédits et de textes épars jamais publiés, sinon dans des revues oubliées...
Tu ajoutais enfin, avec ton art des titres tellement fabuleux, que tu allais publier la suite de De la marchandise internationale chez Jean-Louis Massot, éditeur qui t'a renouvelé sa confiance depuis 2003, en publiant huit de tes livres. Ce recueil devait s'appeler à l'origine : Courir dans le cosmos. Il est finalement sorti en 2019 sous le titre : Bientôt la Convention des cannibales.
Je trouve que Courir dans le cosmos est ton plus beau titre. Tu as eu raison de le garder pour une longue procession sous les étoiles.