Ce blog est un laboratoire à ciel ouvert. Vous y trouverez des textes, articles et notes de lectures sur la poésie d'aujourd'hui. Succédant à « Poebzine » (2010-2016), il poursuit la belle aventure du feu.
« Pour moi, la
poésie est une évidence. Mais je crois que pour beaucoup de gens, elle
représente un bloc, une sorte de montagne insurmontable parce que l'époque ne
comprend pas qu'elle est capable d'accueillir la poésie, de la vivre en elle.
Les gens ne vivent que des difficultés ; on les oblige à ne vivre que du
dérisoire, du passager, de l'éphémère comme si cette autre vie n'avait pas de valeur
ou n'en avait que très peu par rapport à du travail ou à des relations
conventionnelles. Je crois que c'est cette difficulté-là que les gens
n'arrivent pas à surmonter devant la poésie qui est un bateau en liberté, un bateau ivre », livrait-il sur les ondes de Radio Bulle à Agen, en 1990.
Le Printemps des Poètes vient de se terminer il y a quelques jours et, afin de ne pas faillir à ma réputation d'être constamment en retard, il est temps pour moi d'ajouter ma patte à cette édition 2021 au thème fort prometteur : le désir.
Parfois le hasard fait bien les choses, car trônait sur ma bibliothèque, me narguant dans son édition poche dite « de luxe », Le livre du désirde Leonard Cohen (1934-2016).
Posons le contexte dès le départ, afin d'éviter tout quiproquo : Musicalement parlant, je suis nettement plus sensible au Gaba Gaba Hey des Ramones, à la démesure de Janis, qu'à la voix nasillarde de Bob Dylan... ou au folk de ce cher Leonard dont il est question. Cependant, il me faut constater qu'avec l'âge, j'ai aimé le sieur, car l'homme avait su vieillir... et moi aussi (Mais désolée, Bob, malgré ton prix Nobel de littérature, je ne parviens toujours pas à entendre ta voix sans saigner des oreilles ).
Bref et donc, au gré d'une visite en librairie, je me suis laissée séduire par ce poche tout emprisonné dans sa vierge de fer éditoriale... le désir d'en savoir plus sur le bonhomme s'étant emparé de moi.
De Leonard Cohen, je savais, comme tout un chacun, qu'il avait été amoureux de Marianne (et avais d'ailleurs versé quelques larmes en lisant l'émouvante lettre d'adieu qu'il lui avait écrite à l'approche de son décès), je savais qu'il avait vécu plusieurs années dans une retraite zen, qu'il était juif, peintre, auteur et interprète d'« Hallelujah » que ma génération a connue grâce à Jeff Buckley... et désormais mort.
Lire Le livre du désir, c'est embrasser l'âme entière de Leonard Cohen et découvrir son intimité et sa personnalité, avec toute la complexité et les paradoxes qui font un être humain.
Avec un style d'une simplicité exemplaire, un humour et un sens de l'autodérision réjouissant, doublé d'une sombre gravité, les quelques 200 poèmes et chansons qui composent le recueil nous parlent avant tout d'amour, de désir, d'écriture, de résistance, mais aussi du fait de vieillir, de Di-u (celui qu'on ne nomme pas) et de solitude.
L'auteur s'y révèle en grand sage bancal de la vie, doté d'une mélancolie douce et ravageuse.
Les courts poèmes, proches du haïku, sont accompagnés de dessins tout aussi concis et expressifs, comme si tout l'art de Leonard Cohen résidait dans l'instant qu'il faut saisir, car sa fuite est inéluctable. En quelques traits précis, il esquisse son visage de Droopy vieillissant, les courbes du corps de sa jeune amante, un oiseau, sa guitare.
Tout est profond et léger dans ce recueil, et il s'en dégage une impression de sagesse et de plénitude torturée, à l'image de l'Œuvre complète et de la personnalité de l'auteur.
Maintenant que ma mission
Vient à se terminer
Priez qu'on me pardonne
La vie que j'ai menée
Le Corps que je pourchassais
Lui aussi me pourchassa
Mon désir est un lieu
Mon agonie une voile
Vingt-deux de ces poèmes ont été enregistrés par Leonard Cohen et Philip Glass, sous le titre Book of longing.