dimanche 29 janvier 2017

Samantha Barendson, une belle sensibilité à se souvenir...


samantha barendsont-tanguy guezo
Samantha Barendson (2016) par Tanguy Guézo
J'ai lu pour la 3e fois en trois jours Machine arrière, le nouveau recueil de Samantha Barendson née en 1976 en Espagne, de mère italienne et de père argentin, publié récemment aux éditions La passe du vent et cela a été pour moi une révélation/confirmation.

À la suite de son livre, Le citronnier, bouleversante enquête poétique « modianesque », à rebours, sur les traces d'un père disparu prématurément, ce recueil confirme l'intuition tenace que j'avais ressentie dès juillet 2014, pour être précis, au sujet de cette auteure en devenir.

Dans Machine arrière, j'ai retrouvé la même fraîcheur, ainsi que la belle sensibilité de l'auteure dans des textes émouvants et surprenants, poèmes concis au ras des mots - souvent factuels - comme autant d'instantanés constitutifs des moments clés d'une existence reconvoquée avec force et justesse. Le recueil offre également une composition bien rythmée dans une forme ciselée et sensible à la fois.

barendson-machine arriere
De la prime enfance à l'âge adulte, on accompagne le parcours de cette jeune femme d'aujourd'hui au tempérament de battante : on revit ses peurs et ses rêves, ses inquiétudes, ses désirs et ses aspirations, et même si les premières blessures et déflagrations se mêlent aux désillusions et aux reconquêtes... c'est presque toujours le sel de la vie et l'abnégation de la jeune femme qui en sortent triomphants, l'espoir, la volonté de manger la vie ou de se remettre chaque fois debout comme si rien ne pouvait l'atteindre tout à fait : « Ce quelque chose / s'en va / et la peur / claque la porte / Revivre / Respirer »

Dans la postface de Machine arrière, Samantha Barendson explique que « dans ce livre, elle avait envie de voir si elle pouvait donner la sensation d'une existence uniquement à partir de souvenirs. »

Le pari est gagné ! Et de quelle manière !

Un extrait (p. 53) :

La serveuse
a cinquante ans 
elle me sert
un café

Elle est triste
fatiguée
usée
lasse

La serveuse
c'est moi
dans trente ans

Je démissionne
je reprends
mes études
 

Mon citronnier de Samantha Barendson vient de ressortir au format roman XXL aux éditions JC Lattès. Le récit a été entièrement retravaillé par l'auteure. La pagination a triplé. C'est donc un autre citronnier à redécouvrir « avec moins d'ellipses », a confié l'auteure à Thierry Renard, « une plus longue enquête, où la fiction n'est pas non plus absente... »


Pour les chanceux lyonnais :

Rendez-vous le 9 février 2017 à 19h00 à la Librairie « Vivement dimanche » (4, rue du Chariot d'or - Lyon 4e - métro Croix-Rousse) Samantha Barendson y présentera les deux livres en question.

mardi 24 janvier 2017

Daniel Biga, le chant des retrouvailles - 1


Daniel Biga-2017
En juin 2003, Daniel Biga publiait au Castor Astral une anthologie au titre provocateur et dérisoire comme un panneau de manifestation : Le poète ne cotise pas à la sécurité sociale. Celle-ci reprend l’essentiel de son œuvre produite en 40 ans de
« poévie ». Elle nous rappelait que chaque livre de Biga est une fête qui, chaque fois, nous étonne, nous rassasie - Attention l'existence déboule - plaies et bosses y compris, entre rencontres et moments de grâce, un concentré d'énergies et d'humanité qui frappe au plexus solaire. Ce dernier livre tombait à point nommé. Chez les petits éditeurs, beaucoup de ses livres précédents étaient épuisés ; on ne pouvait pas compter pour prendre le relais sur les supermarchés de l'édition contemporaine.



Daniel Biga-poesie 1
 Poésie 1 n°15 - Mai 1971
Il y a à peine dix ans, je découvrais Daniel Biga dans une petite revue rouge et noire qui présentait « LA NOUVELLE POÉSIE FRANÇAISE ». Je fus cloué sur place par ses poèmes d'un lyrisme bouleversant.

Édité en 1969, son recueil Oiseaux mohicans fit l'effet d'une bombe dans le milieu poétique. Jean Rousselot, Alain Bosquet, Jean Orizet et Guy Chambelland le saluèrent aussitôt. Qui aurait pu deviner, en voyant ce cliché du poète paru en 1971 dans le n°15 de Poésie 1, que ce grand jeune homme au regard perdu pressait au fond de ses poches des poèmes tumultueux, bigarrés, narcissiques, écorchés, lesquels dénonceraient les aberrations de la société de consommation et le malaise social avec autant de force et de discernement ?

Le temps a passé depuis ; avec tant d'autres, possédés de poésie, je suis resté attentif et fidèle au Phénomène Biga. De son côté, Daniel Biga n'a jamais renoncé à sa révolte ni à son authenticité - l'âme et les tripes au dehors - le cœur écartelé entre sa solitude d'Amirat1 et la tentation de la ville moderne. Il s'est aussi assagi, conjuguant les couleurs de l'enfance, de son Sud natal, perpétuant encore dans ses textes la langue, la mémoire de ses aïeux.

Tant d'années, 40 ans, « à cheminer vers son Nirvâna », de Nantes où il enseigne, jusqu'à Nice où il reprend souffle, en retournant à la terre de ses racines... L'été, surtout, quand la cime des arbres incendie sa chevelure, Daniel Biga écrit à la lueur d'une bougie dans son ermitage de montagnes, à moins qu'il ne marche inlassablement, sac à dos en bandoulière, au cœur de la nature et du brasier.

Alors, avec Biga, comme avec les plus grands en poésie, renaît toujours, quand le temps en a décidé, le chant des retrouvailles. Le poète est là, bien vivant sur la page, lutte à bras-le-corps avec la chair des mots, se débat, cogne, gueule de tout son être : révolté, tendre, amer, désespéré, spontané, sensible, ébloui, ou provocateur, bref, humain et batailleur...

Si bien que lorsque l'humanité recule comme l'utopie, nous sommes quelques uns à espérer des nouvelles de Daniel Biga. Que Biga « l'outlaw » nous délivre et mitraille nos petitesses et nos résignations, la poésie au poing.

Pour ces mille et une petites choses, il était tentant de revenir avec Daniel Biga sur son parcours. 

F-X Farine : Daniel Biga, on est assez dérouté, lorsqu'on découvre vos premiers poèmes, par leur côté protéiforme. Une critique très juste à propos d'Oiseaux mohicans, disait ceci : « La poésie de Daniel Biga est comme le panier d'un cleptomane, on en sort de tout ! ». Vous y incorporiez des slogans, des tracts, des publicités, des citations et des chroniques, en tout genre… Le monde extérieur et ses nuisances, l'univers de la ville y soufflaient aussi très fort ! Mais rien n'était jamais gratuit, ni même artificiel dans cet assemblage hétéroclite. C'est ça, la patte Daniel Biga... Vous-même, comment qualifieriez-vous vos poèmes de « jeunesse » ?

Par ailleurs, quand je reprends vos deux premiers recueils Oiseaux mohicans, Kilroy was here, presque 40 ans après, ça ne me semble pas avoir vieilli... La modernité de ces poèmes, leur révolte m'ont frappé, comme ce ton direct et très oral qui vous permet d'aller à tout. Le cocktail Molotov Biga bouscule son lecteur. L'amour, la tendresse, l'humain se confondent avec une revendication constante de liberté, une soif d'absolu rimbaldienne. Je me trompe ?
Entre 26-29 ans, étiez-vous conscient de tout cela ?

Daniel Biga : Vos deux premières questions me semblent proches l'une de l'autre, aussi vais-je tenter de les relier dans ma réponse... Bien sûr j'étais conscient ( relativement !) lorsque s'écrivaient Oiseaux mohicans et Kilroy… contemporains l'un de l'autre - tous les textes des deux recueils ont été écrits entre 1962 et 1966, à part un poème peut-être plus tardif d'un ou deux ans - de ce que je faisais alors et d'une certaine modernité - et actualité - de contenu comme de forme. Bien sûr l'on ne s'invente pas tout seul ! Lectures et influences sont nombreuses. Et les compagnonnages aussi ! Que ce soit à Nice, alors un vivier de l'avant-garde artistique et anti-art avec principalement le Labo 32 de Ben Vautier, boutique-galerie où passaient la plupart des artistes et écrivains de l'internationale niçoise ( à l'époque j'étais autant peintre que poète et j'ai participé à des dizaines et dizaines d'expositions, manifestations etc autant dans la région qu'en d'autres villes françaises - le réseau « underground » et à l'étranger aussi, principalement l'Italie pour ce qui me concerne), la revue Identités avec Alocco, Jean-Pierre et Régine Charles, Ernest Pignon, les groupes de théâtre Art Total et ses happenings, T.P.N. de Dédé Riquier, plus « politique », le Club des Jeunes de Jacques Lepage ( poète aujourd'hui oublié mais qui a joué un grand rôle avec les Rencontres Poétiques de Coaraze et le bulletin de coordination des revues et éditeurs de poésie, et en tant que critique d'art découvreur de « l'École de Nice »...etc etc, ... et tant et tant d'autres. Des livres ont été écrits là-dessus, je ne rajouterai pas le mien... Ah ! en ce qui concerne la poésie j'oubliais aussi la revue Chemin de Toulon ( Michel Flayeux, André Portal, Marcel Migozzi, Pierre Tilman...) qui plus tard devint la revue Archipels et plus tard encore les éditions Télo Martius...

F-X Farine : Que vous reste-t-il de l'expérience de la revue Chorus que vous aviez fondée avec Franck Venaille et Pierre Tilman, au lendemain de la Guerre d'Algérie, de 1962 à 1974

Daniel Biga : Chorus fut le pont qui s'établit entre « notre » province/provence et Paris. Il m'en reste de bons souvenirs et en tout cas ceux d'une période riche en découvertes, échanges, créations, contacts, etc... Il m'en reste des amitiés solides avec Franck Venaille, Pierre Tilman, que je ne vois pas trop souvent parce que je voyage peu désormais et Guy Bellay que je rencontre lui fréquemment car nous habitons tous deux Nantes.

F-X Farine : On a parlé de vous comme du premier Beatnik français ? Revendiquez-vous cette filiation ? Aviez-vous lu Kerouac, Ginsberg et toute la bande de la Beat Generation ? Et Claude Pélieu, le plus frenchy, d’entre eux ? Relisant votre journal Octobre (1973), j'ai remarqué une effusion verbale assez proche de ces poètes...

Daniel Biga : J'ai un peu lu Kerouac et les autres beats alors ( en 62-63 ?) et d'abord en anglais grâce à Ben dont c'était la langue maternelle et avant qu'ils soient traduits en français... Plus tard j'ai eu l'occasion de côtoyer Ginsberg, Burroughs... et Claude Pélieu en mai 1975 à Montréal, où - avec Jean-Louis Brau - nous étions trois français invités avec des dizaines d'autres, québécois, canadiens, américains aux Rencontres Internationales de la Contre-Culture... C'était bien mais l'on en était déjà à l'heure des bilans et manifestations de reconnaissance. Le mouvement ( international !) de 1968 avait eu son apogée et explosion. Des choix étaient faits ou allaient se faire : intégration, résistance, départs... Peu après je me retirais à Amirat, hors du circuit artistique et urbain, dans ma « montagne froide ». Je fais là référence à Gary Snyder ( trad. notamment des « colds moutains poems » de Han Shan) qui, dans sa démarche de vie comme dans son œuvre poétique est certainement le poète beat dont je me sens toujours le plus proche.

F-X Farine : On a surtout lu l'insolence et la verve de vos premiers poèmes, mais l'humour y était aussi très présent...

Daniel Biga : Oui ! j'ai toujours aimé jouer avec les mots... et j'aime bien les ruptures de ton et les « à-peu-près » de qualité douteuse... Rabelais - par exemple - m'a sûrement plus influencé qu'il n'y paraît !

F-X Farine : Pouvez-vous revenir, pour les plus jeunes d'entre nous, sur votre aventure au sein de l'École de Nice ? Étiez-vous déjà ami avec Ben, Ernest Pignon-Ernest, et J.M.G Le Clézio avant qu'ils ne deviennent des compagnons de route ?


Daniel Biga : j'ai rencontré Ben à 17 ans (1957) entrant pour la première fois dans sa boutique.., c'est là aussi que j'ai rencontré Le Clézio 1 ou 2 ans plus tard - mais nous ne nous sommes vraiment fréquentés que dans les années 70-75 - Ernest était un ami proche, ami d'ami(e)s, on se voyait notamment au Club des Jeunes, dans les répétitions des groupes de théâtre dont nous faisions les décors, où jouaient les copains(pines), les expos collectives, etc... Mais il y avait beaucoup d'effervescences, de contacts, d'influences... Il faudrait, outre les noms déjà cités, en nommer des dizaines d'autres - et le fait qu'ils soient restés anonymes ou qu'ils aient acquis quelque renommée durable ou éphémère ne dit rien sur l'importance qu'ils eurent ( ont encore pour certains) pour moi. Beaucoup de peintres, sculpteurs ( on parlait peu de « plasticiens » à l'époque !), quelques écrivains, gens de théâtre, écrivains, musiciens, et surtout gens de curiosité, engagés vitalement, engagés libertairement, politiquement etc... : Serge Oldenbourg, Robert Filliou, Eric Dietman, Claude Viallat, Martial Raysse, Malaval, Gilli, Claude Réva, Alain Peglion, Boutchi, Chartron... Robert Bozzi, Roland Flexner, Martine Doytier, Saytour, Pluchart,... Norge, Onimus, Monticelli, Jo Jones, André Villers, les Heylergers, G. Brecht, Albert Chubac, Ugo Carrega, William L. Soerensen, Cantin, Angel, etc etc : tant d'autres demeurés dans l'anonymat ou y retournés ! mais pas dans le tamis de la mémoire !

F-X Farine : Au cours de ces années, vous avez exercé plusieurs petits métiers, je crois... Vous avez même été garçon de café ? Mais vous viviez avant tout pour écrire et être sur la route, n'est-ce pas ? Dans le dernier poème de Kilroy was here (1972), vous dites : « Ce matin j'ai eu une peur panique : j'ai failli trouver du travail travailler travailler lavorare stanca - je m'inquiète - et oublier encore plus de la vie de la poésie ».

Daniel Biga : j'ai fait un peu n'importe quoi, ce que je trouvais, ou ce que je voulais essayer, quelque temps...Vivant de peu cela me convenait assez. Ce dont j'avais peur plus que tout c'était du travail « à vie » ( comme une condamnation « à perpétuité » !) Ma liberté ( croyais-je !) était dans le fait de faire des remplacements, des intérims, de me dire que je pouvais partir quand je voulais... Et puis il faut dire que j'avais vécu 28 mois d'armée ( dont une partie en Algérie !) et que toutes les contraintes m'étaient encore plus insupportables qu'avant... à propos de ce temps militaire ( oct.59 - mars 62) autant dire qu'il m'avait fortement coupé de Nice et des artistes : les préoccupations n'avaient pas grand-chose à voir ensemble et il était difficile de parler et de se comprendre d'un monde à l'autre !

F-X Farine : Revenons à votre parcours poétique...
À partir du recueil Né Nu (1984) - J.M.G Le Clézio et Jean Orizet l'ont observé tous deux - , « Une grâce vous est venue, une luminosité... ». On retrouve cette paix intérieure, cette accalmie dans quelques uns de vos recueils suivants dont, C'est l'été, Carnet des Ref(o)uges, mais elle se manifeste aussi en filigranes de la plupart des poèmes de Stations du Chemin (1983-1987). À quoi est due cette évolution ? La révolte use-t-elle son poète ?

Daniel Biga : je crois que je n'ai pas une écriture - mais des écritures - et des cycles aussi de paix, de révolte, de grâce, de colère... je suis construit de contradictions : il m'est impossible d'autrement m'imaginer et je fais avec ! Mais je suis sûr qu'il y a aussi des moments zen ou méditatifs dans mes premiers livres !
Ceci dit sans m'assagir vraiment j'avais osé vivre ce retour montagnard, essentiel pour moi ( rappel d'une enfance dans le Haut-Var dans des années de guerre - et immédiate après guerre) dans une pauvreté volontaire, une simplification de vie... A compté aussi le retour au Sahara algérien ( mais volontairement, dans une démarche de paix, vingt ans après, comme coopérant-enseignant à Biskra) ; un travail aussi - en plusieurs étapes et formes - de psychothérapie, de recherches spirituelles, etc... Mais il me semble que mes livres, poèmes ou proses, racontent cela en beaucoup mieux que je ne l'explicite maintenant : l'autobiographique ne doit pas tomber dans l'anecdote narcissique, je pense !

F-X Farine : C’est durant cette période que vous avez écrit également L'Amour d'Amirat (1984). J’aime beaucoup ce livre, qui contient, comme les Lettres de Gourgounel de Kenneth White, « toute la saveur du réel, une poésie rude, sans affectation ni complication inutile ».

Daniel Biga : Moi aussi ! Ces livres peuvent être relus - à l'instar, par exemple d'un
Walden, ou la vie dans les bois de Thoreau - à petites doses.

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1 Amirat se trouve dans la vallée de l’Estéron (Alpes-Maritimes) à la limite des Alpes-de-Haute-Provence et du Var, à 80 km env. de Nice et de Draguignan.

2 © Photo de Daniel Biga, extraite du site Les Mots d'Azur de Pierre-Jean Blazy

Daniel Biga, le chant des retrouvailles - 2

F-X Farine : Dans un des poèmes de Stations du chemin, vous faites le constat suivant :

la vie du siècle m'écrase 
la ville moderne me déchire
Aujourd'hui partout où je vais c'est dans la beauté perdue 

Est-ce qu'il s'agit chez vous, plutôt d'une désespérance passagère, chronique, ou davantage d'un désespoir définitif, fruit de votre regard sur le monde ? 

Daniel Biga : J'ai bien peur ( pourquoi ? si c'est ainsi !) qu'il s'agisse d'un dés-espoir définitif, objectif/subjectif... Constat sur tout ce que j'ai vu disparaître - hélas souvent ! - et tout ce que j'ai vu apparaître - hélas très souvent ! - et qui ne me convient pas dans le monde. Et il me semble, évidemment que je ne suis pas le seul dans ce cas. 

F-X Farine : Comme Saint-Exupéry, pensiez-vous être fait pour être jardinier ? 

Daniel Biga : Plutôt comme Candide ( Voltaire) qui avant de cultiver son jardin aura vécu cent et mille mésaventures et expériences, parfois cuisantes. Ça vous fait toute une philosophie, ça, mon bon Monsieur ( même si Pangloss « tout en langue », ne sera, lui, dogmatique et sectaire, jamais totalement atteint dans son « optimisme » !). 

F-X Farine : À côté de vos poèmes-fleuves, (Je vous croyais fait uniquement pour les longues distances, les poèmes-marathons, mais je me trompais...) vous avez composé des poèmes plus courts, des haïkus. On peut citer C'est l'été, Éclairs entrevus ainsi que La chasse au haïku dans une période relativement rapprochée. Pourquoi cette envie nouvelle ? Qu'est-ce qui vous a intéressé à ce point dans ce type d'écriture ? 

Daniel Biga : Ça n'est pas totalement nouveau, puisque dans Oiseaux mohicans comme dans Esquisses pour un schéma d'aménagement du rivage de l'amour total il y a quelques exemples de poèmes courts presque haïkus. Mais il est vrai que, en parallèle avec une démarche « zen » il m'est venu tout naturellement d'écrire des haïkus ces textes de l'immédiateté, de l'observation directe de ce qui est, jusque dans l'habituel insignifiant. 

F-X Farine : Il y a un recueil de vous que j'aime bien, Daniel Biga, qui s'appelle Sept Anges. Pour moi, il est un peu à part dans votre œuvre. Il est plein de sagesse, de mysticisme. Par son aura magique, il touche au divin. En qui ou en quoi croyez-vous précisément ? 

Daniel Biga : Je crois en la poésie... un peu. Je crois... sans aucun complément, sans aucune précision devrait suffire. Après qu'on nomme ça le « tout » ou le « rien » peu importe. Le langage, aussi riche soit-il, je pense n'enferme pas l'univers. Bien sûr c'est une simple hypothèse. Et plus avant je ne sais rien. Et le « rien » ça me convient assez... Les Anges sont peut-être métaphoriquement les messagers - ou les intermédiaires - entre ce rien et nos vanités. Je crois... oui, plutôt que non, c'est tout ce que je peux dire. 

F-X Farine : Autre grande réussite, c'est votre livre Détache-toi de ton cadavre paru en 1998 chez Tarabuste. Ce long poème brasse tous vos thèmes chers : La solitude, la planète saccagée, la désespérance, mais aussi le désir, la tendresse pour l'humain. À l'origine de ce livre, est-ce une volonté de globaliser une réflexion sur vous-même et la marche désordonnée du monde ? 

Daniel Biga : C'est un livre que j'aime bien - presque totalement inaperçu et merci à vous de l'avoir vu ! J 'ai construit ce livre, mais non pas avant - ce n'est pas un projet mis en forme ! - j'ai construit ce livre pendant que je l'écrivais, au fur et à mesure des textes, par intuition et raisonnement - et le titre leitmotiv a contribué à la mise en forme - un ordre, un équilibre, des ruptures de ton, des diversités se sont jointes, ont fusionné... Pour moi écrire n'est pas très loin de faire la cuisine : je regarde rarement une recette, je ne la suis jamais jusqu'au bout mais j'aime mêler les nourritures et ingrédients jusqu'à un résultat sinon harmonieux mais qui soit à mon goût ! 

F-X Farine : En 1999, avec Le chant des batailles, vous dressez un inventaire charnel de tout ce que vous aimez, c'est un formidable hymne à la vie. On retrouve la même sève dans le livre Lourdes, Lentes... d'André Hardellet. Y avez-vous songé en écrivant le vôtre ? 

Daniel Biga : Je connais Lourdes, lentes que j'aime beaucoup... Mais j'ai aussi lu Bataille, Guyotat, Pierre Louys ... Henri Miller... et bien d'autres.

Je suis redevable à tous de ce livre qui était pratiquement écrit il y a vingt ans... Sans doute fallait-il qu'il refroidisse avant de le servir - je veux dire le publier ! 

F-X Farine : En 1999, vous enfoncez le clou en publiant Éloge des joies ordinaires puis les haïkus de Dits d'elle en 2000. Il s'agit de poèmes amoureux, provocateurs et plutôt crûs, évoquant le couple et le badinage sexuel. Pourquoi, soudain, ces deux livres à ce moment-là ? 

Daniel Biga : Parce que !… quoi ? parce qu'il était temps, parce que ils se sont mis en place, parce qu'ils étaient mûrs, parce que la saison était propice, parce que j'étais assez heureux dans ma vie, notamment amoureuse et sexuelle, voilà ! 

F-X Farine : Votre écriture colle à la vie quotidienne, mais les poèmes issus de Cahier de textes (2001) semblent vouloir aller plus loin. Certains ont l'esprit des poèmes-conversations, d'autres rendent hommage à des gens de tous les jours qui pourraient être nos plus proches voisins... 

Daniel Biga : Effectivement, ce sont des poèmes assez expérimentaux - et la publication à petit tirage me permet de les tester... Ils se retrouveront - entre autres avec les éloges des joies ordinaires sans doute dans un ensemble plus long et qui à ce jour n'est pas encore bouclé : work in progress ! 

F-X Farine : J'ai remarqué que Nice, l'arrière-pays niçois, ainsi que vos souvenirs liés à l'enfance affleurent de plus en plus dans vos derniers recueils. C'est le cas dans, Capitaine des Myrtilles, publié au Dé bleu en 2003, et dans L'Afrique est en nous que vous avez publié, en mai 2002, aux éditions de L'Amourier. 

Daniel Biga : C'est vrai ! La mémoire non-chronologique des « vieux » que je rejoindrai un jour - de plus en plus proche. Je suis d'ici et maintenant - mais aussi d'avant et d'après - de là-bas comme de nulle part, un rien-du-tout un peu conscient... 

F-X Farine : Dans ce même livre L'Afrique est en nous, on retrouve l'écriture au style débraillé, télescopé de vos débuts, mais en plus ludique, cette fois. Vos poèmes sont ponctués de jeux de mots et de mots-valises, la langue déstructurée à la manière de Verheggen. Il y a aussi chez vous une volonté de « métisser » les langues : français, italien, anglais, allemand...

En musique, on parle de world-music, avez-vous été tenté, ici, par une expérience analogue de world-poésie ? 

Daniel Biga : Postulat du jour : admettons que nous soyons tous les descendants de Babel ! Attirés donc par les deux extrêmes opposés de la langue unique et des langues multiples. Et repoussés aussi. Tiraillés, déchirés, exprimant aussi cette « hésitation entre le son et le sens » dont parlait Valéry ( Popaul pour ses intimes) à propos de la poésie. C'éty pas ça la plouralité pouéthique ? 

F-X Farine : Quels sont les poètes de votre génération et ceux, parmi les plus jeunes, auxquels vous êtes le plus sensible ? 

Daniel Biga : Franck Venaille, Guy Bellay, William Cliff, Marcel Migozzi,

G.L. Godeau, Pierre Tilman, J.P. Verheggen, J. Roubaud, G. Jouanard, J. Réda, James Sacré, J.P. Klee, Petr Kral, A. Velter, Paol Keineg,… bien d'autres pour un ou plusieurs livres ; Et parmi les plus jeunes F. de Cornière, J.P. Dubost, Sabine Macher, Valérie Rouzeau, Ariane Dreyfus, F. Boddaert, Roger Lahu, Antoine Emaz, Dominique Poncet, J.P. Georges, F. Pazzotu, P. Grouix... tant d'autres pour un recueil, un poème ou une surprise dans une revue ou une lecture d'auteur à haute voix... 

F-X Farine : Êtes-vous toujours d'accord avec cette définition de la poésie que vous donniez en 68 avec vos amis de la revue Chorus selon laquelle : « La poésie doit déchiffrer le langage de la vie quotidienne. » ? 

Daniel Biga : En gros oui ! Autrement dit sans doute... Car le slogan poétique 2004 n'est pas le slogan politique 1968 ! 

F-X Farine : Si vous deviez ne garder qu'un seul livre voire un poème de vous ? Lequel serait-ce ? Pierre Béarn posa cette question à René Guy Cadou lequel répondit, pour l'anecdote, Moineaux de l'an 1920. 

Daniel Biga : Difficile !… Disons dans l'humeur du jour et de l'heure si je ne gardais qu'un livre : Oiseaux mohicans puisqu'il est le premier et contient déjà maladroitement parfois encore tout ce que les livres suivants ont développé... Un poème ? Peut-être « Il a neigé jusqu'aux portes de la ville... » dans Stations du Chemin. 

F-X Farine : « La chanson est à l'ordre du jour. La poésie à l'ordre de la nuit ». Partagez-vous ce sentiment de Georges Perros sur le sort confidentiel de la poésie ? La poésie ne doit-elle pas au contraire élargir de plus en plus son audience et les poètes descendre dans les rues pour rencontrer leurs lecteurs ? 

Daniel Biga : Il y a gens - et poètes - de toutes sortes et vocations... À chacun d'apprendre de lui-même ce qu'il est, ce qui lui convient et ce qu'il a à faire. À bas les règles et les canons du collectif réducteur et de la conformité !

Pour ce qui me concerne j'aime toujours cette non-définition du poète ( je l'ai retrouvée en fin d'un récit de Jean Joubert ; depuis j'ai vu que certains - francophones en principe ! - l'attribuait à Montesquieu -, d'autres - anglophones en général ! - à Shelley... d'autres à d'autres ! peu importe, la voici juste après le fermez la parenthèse) et le point-virgule ; « Le poète est le législateur secret du monde. »
Ce qui me convient ! 

F-X Farine : Vous-même, il vous arrive de lire vos textes en public. Pourquoi ? 

Daniel Biga : C'est à Montréal en mai 1975 dans une semaine dite de la « contre-culture » que j'ai vraiment pris plaisir et sens à lire mes textes, parmi tellement d'autres poètes invités là, américains, québécois ( et même français !) de Ginsberg et Burroughs à Miron et Villeneuve, d'Anne Waldman et John Giorno à Denis Vannier, Josée Yvon, Paul Francœur, Chamberlain, Pélieu, Brau... et Colette Brossard,... et tant d'autres notamment dans un « douze heures de la poésie » ( et musique). J'ai ramené cela dans mes bagages en France et ai assez souvent fait des « lectures à haute voix » depuis lors... 

F-X Farine : L'un de vos recueils s'intitule Pas un jour sans une ligne. Donneriez-vous ce conseil à un jeune poète ? Quels autres encore ? 

Daniel Biga : Comme une expérience d'écriture et de vie oui... À certains moments de la vie qui peuvent être propices à ce type d'activité régulière. Ce petit livre a été effectivement écrit en quelques mois et quotidiennement ( un peu à la façon d'Octobre) entre mer et montagne, ville et nature.

Quels conseils donner ? À chacun d'entrer dans sa singularité…, à chacun de tenter d'être « au plus près » ( pour reprendre un titre de Roger Lahu)... à chacun sa présence et notamment aux mots qui forcent sa voix - sans justement « forcer sa voix » d'enflures et autres inconsciences !… Et pour qui veut écrire, il faut lire, bien sinon beaucoup. Poète ça n'est pas un métier ! et pourtant il y faut aussi du métier ! ô jeunes et vieux sachons-le ! 

F-X Farine : Qu'écrivez-vous en ce moment ? 

Daniel Biga : Un peu de tout sous diverses formes encore mal précises... Reprendre un récit sur l'enfance écrit puis abandonné il y a dix ans ; un second récit à partir d'une autre époque de ma vie ; quelques « nouvelles » anciennes (sic !) - et là encore il s'agit de la matière première des souvenirs... A mon âge il me semble que j'ai à « purifier » ma mémoire. Peut-être rien n'aboutira de ces tentatives. Alors quelque(s) poème(s) fait de briques et de broques dans mon fichu-chantier-fichier se mettront quand même en place... 

F-X Farine : L'écriture d'aphorismes ne vous a-t-elle jamais tenté ? Car il m'en revient trois, extraits de vos poèmes, que je me répète souvent : « L'homme est-il la chrysalide de l'ange ? », « Quand on est poète, on est jamais complètement fichu. » et ce dernier : « Si la pluie est éternelle, l'éternité n'est pas la pluie. » 

Daniel Biga : J'aimerais bien mais je ne suis pas doué pour l'aphorisme ; incapable de « décocher une flèche » je n'ai ni la répartie facile, ni ce qu'on appelle l'esprit d'à propos... les trois vers que vous citez sont en fait des conclusions, peut-être bienvenues, mais sont liées au reste du poème qui les précède… 

F-X Farine : Quel est votre secret pour durer ? Comment expliquez-vous que brûle toujours en vous, depuis 40 ans, la même fièvre poétique ? 

Daniel Biga : 40 ans dites-vous ? Je ne m'en suis pas rendu compte... Dans mon temps intérieur je suis toujours au présent ! 

F-X Farine : De quoi n'aurions-nous pas parlé qui vous serait essentiel ? 

Daniel Biga : On parle trop la plupart du temps. Et l'essentiel on ne l'enferme pas

( ou le définit) dans les mots… 

© François-Xavier Farine, le 8 mars 2004.


Cet article est paru avec un ensemble de poèmes inédits de Daniel Biga dans le n°122 de la revue Décharge en juin 2004.

Dernières publications de Daniel Biga :


Le sentier qui serpente suivi de Détache-toi de ton cadavre, Tarabuste, 2015.
Alimentation générale, Unes, 2014.
L'Amour d'Amirat suivi de Né Nu, Oiseaux mohicans, Kilroy was here, Cherche midi, 2013 (réédition des premiers Biga).

mercredi 18 janvier 2017

Joie toute « pépite »

Ce jour, en effeuillant au travail le dernier recueil d’une auteure que j’aime énormément depuis ses débuts et que j’ai invitée en  mars 2014 à l’occasion du 16e Printemps des Poètes, je découvre ceci qui me touche infiniment…




Sophie G. LucasMarlène Tissot et Frédérick Houdaer :
La génération quarantenaire en force

Lecture (extraits) à la Médiathèque départementale du Nord, 17 mars 2014

dimanche 15 janvier 2017

François-Xavier Maigre né en 1982


« Qui a détourné de la foule les laves de l'enfance ? »

François-Xavier Maigre, extrait de Dans la poigne du vent, Seghers, 2012.

© photo revue " Chemins d'étoiles "
Le blog de l'auteur

vendredi 13 janvier 2017

Jean L'Anselme, grand poète d'humour généreux (1919-2011)

Dès janvier 2001, j'ai entretenu une correspondance suivie avec Jean L'Anselme - comme beaucoup de poètes d'ailleurs - jusqu'à sa disparition en décembre 2011.
En plus d'être un poète majeur, Jean L'Anselme était un homme généreux, bienveillant, qui savait aussi être attentif aux parcours poétiques des autres.
J'avais découvert ce poète d'humour, en 1991, dans un vieux n° de Poésie 1 sur la poésie comique, ainsi que dans l'un des 17 volumes de La Bibliothèque de Poésie consacré à 
« la poésie contemporaine de langue française » paru chez France Loisirs sous la direction de Jean Orizet et le concours de Jean Breton.
Je n'eus de cesse d'interroger Jean L'Anselme sur son parcours et ses relations avec des poètes comme Éluard, Aragon, Prévert, Cendrars, Guillevic ou les poètes de l'École de Rochefort (Cadou, Béalu, Bérimont, Rousselot). Puis d'autres, plus contemporains, que j'appréciais tout autant, comme André Laude, Yves Martin, poètes qui appartenaient à la Galaxie Chambelland, Orizet, Breton au début des années 70 jusqu'au milieu des années 90.
Je l'ai rencontré à trois reprises à Angers lors de son colloque, en compagnie de Guy Chaty, puis à la librairie Solstices de Lille en 2002, ainsi qu'au « Lundi des Poètes » de Paris en 2009. L'homme, Jean L'Anselme, ressemblait tant à sa poésie !

J'ai décidé de mettre en ligne une vidéo inédite diffusée à l'époque sur Canal 9, ex-chaîne régionale, suite à sa venue à la Librairie Solstices de Didier Deroeux, rue de Gand à Lille, en décembre 2002.

Je l'avais précieusement gardée sur une vieille VHS.






mercredi 11 janvier 2017

Pas tout à fait un poème, ni une note de lecture

          
            Mercredi 11 janvier 2016 2017


Datés du jour de ponte de Bernard Bretonnière
est un livre
que je garderai
et que je relirai de temps à autre
comme ceux de Daniel Biga
de Pierre Tilman
de François de Cornière
et de Guy Bellay
j’aime dans ces poèmes
leur immédiateté
leur sincérité
leur exactitude
leur insignifiance ou leur imprévisibilité
qui soudain prennent sens
leur part d’incertitude
aussi
je les ai lus d’une traite
sur mon trajet quotidien
dans le bus puis le métro
et des passages me sont restés
en mémoire
malgré ma tête encore en vrac
des échos
des failles d’homme
des confidences
émouvantes souvent
« l’os de l'ordinaire »
pour reprendre la belle expression
de Lucien Suel
j’ai même failli louper
Grand Stade 
mon arrêt de bus habituel
et c’est plutôt bon signe
surtout
pour un ex-footeux
qui aujourd’hui s’en fout royalement
comme de sa vieille paire de crampons
Puma taille 42
En 2007, j’avais découvert
Cigarette de ce même auteur
sans rien connaître de lui
ce qui m’avait alors ravi
retourné
ému
Ruez-vous donc à votre tour sur ce recueil
si je devais ne convaincre que 2 ou 3 lecteurs
ce serait déjà victoire
Pas plus tard que la nuit dernière
j’ai même rêvé de Bernard Bretonnière
et de sa femme Reine
(dans mon rêve elle ressemblait à Martine Caplanne
elle avait les cheveux courts et le même sourire...)
attablés avec Roger Lahu
et ce matin même
avant de m’insérer dans la longue file d’attente
des voitures tous feux allumés
comme un mille-pattes tortueux
surgissant à peine de l’aube froide
j’ai encore lu quelques-uns
de ses poèmes
la journée n’était pas perdue.


 Le blog de l'éditeur : Les Carnets du Dessert de Lune