mardi 19 décembre 2017

Denis Grozdanovitch né en 1946

À Thomas Vinau et Jérôme Leroy.

« Quand la balle arrive, pour bien la renvoyer, il faut la prendre au centre du tamis. En poésie, c'est pareil. Si vous vous trompez sur le détail significatif, ça ne résonne pas. »



Denis Grozdanovitch
 Denis Grozdanovitch tout à gauche
© Tennis Club du 16e, Paris, 1978.

De
Denis Grozdanovitch, né en 1946, ex-tennisman de haut niveau dans les années 70, j'avais apprécié son unique recueil de poésie : La Faculté des choses paru au Castor Astral en 2008 et L'art difficile de ne presque rien faire publié ensuite en Folio Gallimard.

En 2010, j'eus d'ailleurs la chance de le rencontrer à la Villa Marguerite-Yourcenar alors qu'il y effectuait une résidence. Nous avions parlé de l'écriture de François de Cornière (dont il se sentait proche). Et pourtant me confia-t-il, à l'époque, l'écrivain, Bertrand Visage, avait malencontreusement qualifié François de Cornière de « poète de peu », avec d'autres auteurs appartenant, eux aussi, au courant de « la poésie du quotidien » ou « du vécu ». Or, aujourd'hui, ces poètes-là demeurent toujours aussi importants à mes yeux tels Georges L. Godeau (1921-1999) et Gabriel Cousin (1918-2010).

Voici quelques extraits de ces deux poètes de « la vie ordinaire » pour parodier Georges Perros, moins connus que François de Cornière, mais qui le méritent autant  :

VIS-À-VIS

    Lundi, j'arpente la rive, je m'assois sur ma boîte à pêche et je fume des cigarettes, quand j'en ai. L'homme d'en face qui ouvre ses volets dit à sa femme : « Il est déjà là » puis, par bonté d'âme, il me salue. Parfois, je réponds. Chômeur, il faut bien que je sois quelque part et, ici, derrière le buisson, personne ne me voit. Sauf lui. C'est un vieux qui attend le facteur, l'herbe à sortir, la mort. En fait, c'est moi qui gagne.

*

MONTER LA GRUE 

    Monter la grue sur un nouveau chantier est ton plaisir. Je porte les barres comme un lanceur de javelot, je les lève et les tiens comme un équilibriste et j'ai encore le temps de caler mon béret à cause du soleil.

     Il gèle dur mais je préfère cent fois ma place à celle des gens de bureau qui nous regardent travailler derrière leurs vitres. Ils sont enfumés. Je parie qu'ils ont les pieds froids. Moi je respire à pleins poumons et marche sur la braise.

*

VÉRONIQUE

    Menue, elle arrive en moto, elle enlève un casque et rit de nos yeux ronds. Elle vient à l'hôtel pour nous conduire chez elle. Elle roule devant, droite sur le monstre. Un moment, elle fait signe et s'arrête dans une vallée sauvage. Sa maison dans la terre luit. Comme sa fille au cou de son mari. L'amour habite là.

*

« UN JOUR,... »

    Un jour, dans le journal, j'ai lu un poème signé Autin-Grenier. J'ai eu un frisson. Rare.

    Plus tard, j'ai traversé la France et, au bout, un champ d'herbe. Il était là. En trinquant, il m'offrit un livre. Le même qu'il avait envoyé à son voisin Char. Resté sans réponse.

    Le lendemain, je dînais chez Char, je lui demandai ses raisons. Il n'écrivait plus, mais il se souvenait.

    Depuis, chez moi, quand je reçois la N.R.F., je cours au sommaire. Si j'y trouve Autin-Grenier, je passe une bonne journée.

*
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Georges L. Godeau, extraits de La vie est passée (poèmes inédits de l'auteur en volumes, regroupés par Georges Cathalo), le dé bleu, 2002, épuisé.


                                      LA NAISSANCE

    Trois fois trois jours la cloche des douleurs t'éveilla et ton visage prit la couleur qui m'avertissait. Toute ta chair se hâtait vers ce dernier travail.


    L'éternel miracle était encore une fois à notre porte.

    La grande poussée victorieuse libéra le poisson tout luisant de sa mère. Il était là, dangereux à tenir, et nous ne savions pas s'il était déjà lui ou encore nous.

    C'est alors que nos yeux se reconnurent. Nous échangeâmes nos joies d'avoir mené la tâche, nos vigueurs d'avoir résisté à d'autres tentations, nos confiances de nous connaître.

gerard-cousin-derober-le-feu    Notre poisson restait là, endormi, après le grand effort de ses poumons et nous ne savions pas encore si son âme était arrivée.

                                                         *

                                 LA GRANDE LIBRAIRIE 

    Après avoir hésité longtemps, j'avais choisi la plus grande pour être moins remarqué.

    Jeune ouvrier, il m'avait fallu tant de courage pour oser entrer.

    Comme un voleur, j'achetais un premier livre au rayon des occasions.

    Je dérobais le feu.

                                                           *

Gabriel Cousin, extraits de son anthologie, Dérober le feu (anthologie composée par Michel Baglin), le dé bleu, 1998, épuisé.

3 commentaires:

  1. quelle coïncidence, je suis en train de lire La vie est passée de Godeau

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  2. Bon choix, Mu ! Si tu trouves le recueil " Votre vie m'intéresse " (1985, rééd. 2000), tu frappes encore plus fort !

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  3. quand y a braderie à la bibliothèque j'achete toute la poésie ;)

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