mercredi 17 janvier 2018

Daniel Fano est un sacré type


Quand j'ai rencontré Daniel Fano – la première fois – il m'a fait songer au personnage d'Oscar Goldman dans la série L'Homme qui valait trois milliards. Mis à part ce gros pull-over débraillé qui n'était plus d'époque et cette chevelure grisonnante, il portait les mêmes lunettes aux larges verres teintés, célèbres chez les pilotes d'hélicoptère de l'armée américaine.

Ce look était plutôt rassurant et touchant pour un poète.

La deuxième fois, ce fut en juillet 2011, à Bruxelles, sous les verrières des Galeries Saint-Hubert. Il m'attendait, à la terrasse d'un café, en retranscrivant sur le papier les conversations qui bruissaient autour de lui. Son écriture, plutôt petite, consciencieuse et appliquée, me rappelait les microgrammes de l'écrivain Robert Walser. Son sourire laissait apparaître une dentition noircie et clairsemée, trouée sans doute par l'abus de nicotine.

Il fut d'emblée accort et naturel avec moi, bien qu'un peu réservé, avant de se révéler être ensuite un bavard intarissable. Il racontait un tas d'histoires et d'anecdotes captivantes. Il semblait parfois même être le spectateur étonné de ce qui lui était arrivé dans son parcours de poète.


Daniel Fano commença à écrire dans le journal de son lycée, avec deux autres élèves, dont Guy Goffette qui y écrivait des poèmes plus classiques, énamourés : « Ce qui plaisait beaucoup aux filles », s’amuse Daniel Fano. « Moi, ce qui me fascinait : c'étaient plutôt les histoires d'espions, d'explosions et les villes en flammes... mais, évidemment, ça n'avait aucun succès ! »

À dix-huit, dix-neuf ans, isolé à Arlon, ville francophone de Belgique, située à 185 km de Bruxelles, Daniel Fano se mit naïvement à écrire à plein de gens importants. Il ne connaissait alors rien de la vie littéraire, ni comment tout cela fonctionnait vraiment.

« J'avais un petit carnet dans lequel j'avais noté des noms de poètes ou d'écrivains dont l'écriture me touchait, j'inscrivais des numéros en face des noms, puis j'écrivais un poème « à la manière de » que j'envoyais ensuite à chaque auteur... Prévert, Michaux, Mandiargues, Topor, Jouffroy, Mansour, etc. J'étais plutôt marqué par un certain surréalisme français à l'époque. »

« Ainsi ai-je une belle collection de lettres de réponses... » me confia-t-il, en souriant.

dominique-de-roux
La rencontre décisive avec Dominique de Roux (1935-1977)

« Un jour, je découvre dans une revue un texte polémique de Dominique de Roux que je ne connaissais pas non plus. Je lui ai adressé en réponse un texte de la même veine que le sien, à la suite duquel nous entretenons une correspondance suivie pendant près d'un an. Je reçois des lettres avec de magnifiques timbres des quatre coins du monde... »

« C'est incroyable, la vie de ce type ! Il paraît toujours en partance ! »

Puis cela s'arrête brutalement. Dominique de Roux me dit : « Je ne corresponds plus avec les gens que je ne connais pas. »

Il poursuivit :

« Je débarque donc, un jour, de ma province à Paris... et j'arrive devant un bel hôtel particulier avec une cour intérieure ; je me présente à la secrétaire, à l'accueil des éditions Julliard :

- Bonjour Madame, je suis venu voir Monsieur Dominique de Roux... »

La dame est étonnée et me demande si j'ai rendez-vous ?... avant d'ajouter :

- « Vous avez de la chance, jeune homme, que Monsieur de Roux soit là... il s'absente souvent pour son travail... »

« Je suis donc reçu par Dominique de Roux qui ne tarde pas à m'héberger dans une mansarde au-dessus des éditions Julliard. Je suis nourri, logé, blanchi. Je passe la plupart de mes journées à lire et à écrire. Le soir, Dominique de Roux me rend visite, il lit ma production de la journée qu'il jette régulièrement à la poubelle : « Ouais, c'est pas mal, continuez ! ».

Il me conseille aussi de lire tel ouvrage de tel auteur ou de tel autre ; je puise donc régulièrement dans les rayonnages de sa bibliothèque personnelle à laquelle j'ai accès. De temps en temps, je suis aussi porteur de valises de la très vieille secrétaire des éditions qui a du mal à monter les marches des étages de cette demeure particulière.

Cela dure à peu près trois ans... avant que je doive revenir en Belgique pour effectuer mon service militaire.

Après mon service, je retourne chez Julliard, pensant récupérer mon travail... 


joyce-mansourDominique de Roux me dit :

« Qu'est-ce que vous faites là ? » 


- « Je suis venu reprendre mon poste... »

- « Ah non, me dit-il, maintenant, c'est terminé. Vous devez vous trouver un vrai métier... Faites camionneur, bûcheron, journaliste... ou ce que vous voulez... Allez faire vos humanités ! »

« Dominique de Roux me permit également de rencontrer Henri Michaux à deux reprises et, plus tard, j'eus aussi la chance de rencontrer la poétesse surréaliste, Joyce Mansour, avec d'autres poètes belges. Je fus totalement intimidé par cette femme, terrorisé même. Pourtant, malgré mon mutisme, elle me prit en amitié et me défendit constamment face aux railleries des autres. » 

Sous le parrainage de Marc Dachy (1952-2015)

« De retour en Belgique, je fais la connaissance de Marc Dachy qui deviendra l'un de mes proches. Il me permettra par exemple de rencontrer, en privé et à ma plus grande joie, John Cage. Il a ses entrées partout et connaît bien le milieu culturel belge, notamment bruxellois. Il m'y introduit et me permet aussi de réaliser mes premières piges littéraires. Ensuite, je suis réellement lancé en poésie – comme vous le savez – en 1974 par Bernard Delvaille dans l'anthologie, La Nouvelle Poésie Française, qui paraît chez Seghers et dont le tirage dépassera les 100 000 exemplaires. Ce qui est phénoménal pour l'époque.

Ensuite, je deviendrai journaliste indépendant après m'être pas mal investi dans l'édition pour la jeunesse. »

« Curieusement, dans les années 80, je deviens un poète indésirable. À la suite de l'envoi de plusieurs de mes manuscrits, je ne reçois que des refus de la part des éditeurs, parfois même accompagnés de lettres incendiaires. Je n'ai refait surface qu'au milieu des années 2000, grâce à deux éditeurs, Jean-Louis Massot des Carnets du Dessert de Lune d'abord, puis Jean-Yves Reuzeau du Castor Astral, qui m'ont à nouveau fait confiance. »

« Avec ma poésie, je me suis aperçu qu'il n'y avait pas de demi-mesure, soit on l'aime, soit on la déteste farouchement... »


Notre conversation se poursuivra dans un même climat détendu et chaleureux jusqu'au milieu de l'après-midi où Daniel Fano m'entraîne dans le dédale de la somptueuse librairie, Tropismes, puis à l'assaut des bouquinistes bruxellois.

Nous nous quittons joyeusement émus de ces moments partagés, volés au quotidien des jours alourdis par la nécessité d'un travail alimentaire – avec la perspective de nous revoir bientôt sur Lille. Je n’ai pas eu le temps de lui faire dédicacer ses ouvrages. Il en rit.
 

© François-Xavier Farine. Extrait d'un livre de portraits inédits.

2. Bio-bibliographie de Daniel Fano

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