samedi 6 octobre 2018

Inédits n°21

de Thierry ROQUET, né en 1968 :

thierry-roquet


Le petit nuage & la foule 

Cet homme a au-dessus de lui
un petit nuage
sombre
qui le suit
partout où il passe
il en retire parfois
un Boeing 747
d’une compagnie Low-Cost
en pleine turbulence
ou
un hélicoptère de la station-météo
dont le pilote a fait un malaise
vagal
et les fait atterrir
de toute urgence
hors du petit nuage
sombre
en agitant les bras
à la façon d’un aigle royal
qui ouvrirait une foule
indifférente
ou
menaçante 
ou 
la mer morte 
si l’on croit aux miracles
si l’on ne craint pas la folie qui nous guette

                     * 

Le haut de la citerne 

Je suis déjà en nage
dans mon bleu de chauffe
un peu trop large
derrière une énorme citerne
un collègue approche :
- viens, on va s'en griller une.
comme j'hésite un peu
il trouve à me convaincre :
- t'inquiètes, le boss peut pas nous voir d'où il est.
je pose mon grand pinceau
et le seau maculé d'huile
- moi, c'est Bob.
- Thierry, je réponds.
je lui demande

ça fait combien de temps
qu'il bosse dans la boîte
- deux ans, un peu plus peut-être
puis je lui demande si
ça lui plaît
alors il se marre comme une baleine
et les regards des autres
se tournent vers nous
- merde, y'en a bien un qui va nous dénoncer, tu vas voir !
puis il énumère sur ses doigts
d'un ton presque doux :
de 1 - ici, c'est ambiance gestapo
de 2 - le patron est un enculé
de 3 - le salaire est pourri
de 4 - je te parle pas de l'organisation et des rotations
il me tend une Heineken 33 cl
sortie d'un sac plastique
et tiédie par le soleil
- je trouve pas de 5 pour l'instant mais j'te jure qu'il doit bien y en avoir un…
dans l'après-midi
fatigué
par la répétition des efforts
je prends une petite pause clope
bien méritée
à l'abri des regards
Bob, mon collègue revient me voir :
- t'avances pas vite, nom de dieu... tu veux un coup de main sur le haut de la citerne ?
- nan ça ira, j'vais m'y remettre.
- c'est la première fois que tu bosses sur un chantier, hein ?
puis il me lance tout sourire :
- et de 5, j'ai trouvé : je crois que t'es vraiment pas fait pour ça !

                     *

Tu n'as pas encore lu « Mon chien stupide » ? 

Tu ne veux pas
d'animal chez nous
tu dis que notre appartement est
trop petit
tu dis que tu ne veux pas t’en
occuper
j’aimerais un chien
un bon gros chien
protecteur
fidèle
et
câlin
tu sais John Fante
avait un chien
il en parle drôlement bien
dans un bouquin
mais
tu ne l’as pas encore lu
&
ça ne te fera pas
changer d'avis
apparemment 
non non je ne me prends pas pour John Fante
je disais ça juste pour le chien


Thierry ROQUET :

Né en 1968 à Rennes, Thierry Roquet vit depuis 17 ans à Malakoff, en banlieue parisienne. Il a publié plusieurs plaquettes et recueils de poésie depuis 2006.
Parmi ceux-ci, je citerai volontiers : 9 bureaux en quête d'employés (2011), Comme un insecte à la fenêtre (2011), Le Cow-boy de Malakoff (2014) et L'ampleur des astres (sept. 2016) qui mêle aphorismes et textes courts.
Thierry Roquet écrit une poésie à caractère social, quotidienne, mais il décrit et éclaire « le pâle ordinaire » avec une écriture nette, précise, visuelle, pleine de lucidité, de dérision et d'autodérision.

Les écrivains qu'il affectionnent sont ceux de la « Biture Generation », que l'on appelle aussi « les écrivains américains post-beat » comme Charles Bukowski, Dan Fante et Mark SaFranko.

Publications :
9 bureaux en quête d’employés (-36° Éditions, 2011)
Comme un insecte à la fenêtre (Gros Textes, 2011)
Le Cow-boy de Malakoff (Le Pédalo ivre, 2014)
Pleines Lucarnes, coécrit avec François-Xavier Farine, préface de Jean-Michel Larqué (Gros Textes, 2016) 
L'Ampleur des astres (Cactus Inébranlable, 2016)
Luberon/Malakoff : correspondances électroniques, coécrit avec Hélène Dassavray (Gros Textes, 2017)

À paraître (peut-être) chez Gros Textes éd. :
à la périphérie du monde
Tournée d'adieux


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