Poète
À vingt et un an, je lâchai la peinture et passai dans le camp de la poésie. Je fourguai quelques toiles et abandonnai les autres dans une cave à l'occasion d'un déménagement. Deux années passées à plagier René Char et à dévorer avec assiduité les beatniks américains m'avaient définitivement convaincu. J'allais faire ça comme un pro et taquiner mes maîtres : Biga, Venaille et Martin.
Attention les yeux. De fait, le réveil fut comateux car, après avoir composé mon premier recueil de poèmes, je dus convenir que personne ne m'attendait. Qui plus est, le compte d'auteur régnait en maître à l'époque - nous étions en 70 - et de petits épiciers cauteleux mettaient du beurre dans leurs épinards en publiant moyennant finances de jeunes crétins que la révolution culturelle de 68 avait convaincus de leur génie trop longtemps muselé. Mais nous avions la foi et de nombreuses revues nous accueillaient. Nous en créâmes à notre tour, nous publiant les uns les autres d'une revue à l'autre.
Pour pouvoir être lu, exister, je décidai d'en passer par ce foutu compte d'auteur qui aujourd'hui répugne au plus humble prosateur de Basse Lozère.
Mon premier recueil fut accueilli par un silence critique assourdissant. On évoqua un divorce à la maison et l'opportunité de revendre l'Olympia de compétition. Néanmoins, je m'accrochai et l'éditeur Millas Martin me fit un prix sur mon second recueil en échange de quelques maquettes de couvertures.
Plusieurs critiques s'intéressèrent à Dernières nouvelles du paradis et je me retrouvai dans La Nouvelle Poésie française, anthologie de Bernard Delvaille qui se vendit à 15 000 exemplaires. Tout cela était bel et beau mais Millas Martin, une fois le livre imprimé, ne diffusait pas. Il se contentait de vous léguer la moitié du tirage et bon voyage et bon vent. Qu'à cela ne tienne, je me résolus à placer moi-même mes livres chez les libraires. Dure école, les amis. À déconseiller aux egos hypertrophiés, aux « moi » extatiques de suffisance et aux fiers versateurs. L'ennemi du libraire, je l'appris plus tard, c'est le poète qui vient lui vendre sa putain de camelote.
Je partais donc, chaque samedi, tenant à la main un sac du Carrefour le plus proche, rempli de mes précieux opuscules. Quelques libraires du Quartier latin avaient la réputation de faire bonne figure aux poètes non diffusés. Je me campais devant chaque librairie, pénétrais dans les lieux, arborant l'air pénétré de celui qui musarde au-dessus des contingences matérielles.Trente minutes plus tard, bredouillant, le rouge aux joues, je sortais de mon sac quelques exemplaires de mes textes et les tendais mollement au libraire. j'ai dû essuyer ainsi des refus mortifiants, des regards de commisération, des discours délirants sur la littérature dégénérée. L'argument massue des libraires revenait tel un leitmotiv : « Où voulez-vous que je mette ça ? » Je repartais, mon « ça » me battant les flancs, et m'en retournais dans mon 18e arrondissement acheter de vieilles Série Noire à trois francs. (...)
Dernières parutions :
Sur la route avec Jackson : roman noir, Cohen & Cohen éd. oct. 2018, 18 Euros.
Les biffins, J. Losfeld, 2018, 12,50 Euros.
Si tu vois ma mère (nouvelles), Cohen & Cohen éd., 2017, 15 Euros.
Houndog a fait un rêve, Invenit, 2016, 12 Euros.
La fille des abattoirs (nouvelles), Rivages/Noir, 2016, 8,80 Euros.
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