Ce que m’a soufflé la ville
Le Castor Astral, coll. Poche/Poésie, 2023
9 Euros
En mars 2019, je découvrais la voix nouvelle de Milène Tournier, née en 1988, publiée, pour la première fois en poésie, avec son titre Poèmes d’époque dans la collection « Polder » de la revue Décharge et des éditions Gros Textes. Elle a publié depuis, coup sur coup, plusieurs recueils de très bonne facture : L’Autre jour (2020) pour lequel elle a obtenu le prix « Révélation Poésie 2021 » de la Société des Gens de Lettres, Je t’aime comme (2021), Se coltiner grandir (2022) aux éditions Lurlure et tout dernièrement cet inédit : Ce que m’a soufflé la ville dans la récente collection Poche/Poésie des éditions du Castor Astral.
Milène Tournier écrit « en marchant » - entre 10 et 20 km par jour - pour se rendre à son travail de documentaliste en collège, en réalisant sur son parcours des petits films qu’elle monte, le soir, avant de les poster sur sa chaîne YouTube, comme des poèmes-vidéos.
Milène Tournier écrit qu’« elle a besoin du corps et de la ville pour écrire ». La ville - entre Paris et Cergy - est son jardin et les gens qui la peuplent dans toute leur diversité et singularité. On retrouve d’ailleurs dans ses textes des bribes de conversations échangées au coin de la rue, dans les transports en commun, la bibliothèque, la boulangerie, l’hôpital, le bar, un parc où la poétesse reprend souffle. Comme une éponge, Milène Tournier enregistre les turbulences et instants de grâce tristes et/ou merveilleux du quotidien. Avec délicatesse. Sans jamais forcer ni le ton ni la voix. Parfois même ses textes peuvent prendre la forme de poèmes brefs, de haïkus urbains.
L’écriture de Milène Tournier interpelle. Elle prend le temps d’observer le monde quand l’hyper connexion et l’accélération du temps nous plombent tous.
Sensible, empathique et intimiste, Milène Tournier écrit « pour être moins triste que la tristesse » en déambulant dans les rues de Paris. Et pour que la vie, surtout, la déborde et rayonne sans doute plus loin encore qu’elle-même et que son « journal ouvert ».
C’est une fois encore emballant et très réussi.
3 extraits choisis :
Je pense que je vais essayer
de faire un truc
une fois chez moi
avec des gens
a dit devant moi la fille
et c'était rassurant que pas seulement moi
sois vague avec la vie.
*
Comme ces dames de peut-être trente-huit ans
qui dans un étirement nuque et dos dans le métro
reprennent possession de leur corps entier
et soudain
ne sont plus des mères mais des lianes.
*
Je sèche ma pluie à la bibliothèque
il y a long que je n'ai pas eu
d'averse en moi.
Est-ce pour ça ou pas
que ce n'est jamais assez, et que j'ai envie
d'une bibliothèque pour l'anonymat et les toilettes,
en même temps
que du soleil grand prince sans nuance,
en même temps
qu'être un peu dans l'eau pour flotter,
en même temps
qu'avoir le droit de m'allonger, le droit de manger,
le droit d'être nue à part une culotte, car le droit
du sexe même me le donnant je ne le prendrais pas,
Mon Dieu avoir surtout le droit du temps de savoir que
demain est l'été,
et celui d'une famille, des amis et du monde,
comme un escalier qui monte et
la maison s'agrandit.