jeudi 5 novembre 2020

Boris Vian (1920-1959), t'as tout dans la peau !


Cher Boris,

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Boris Vian jouant d'un drôle
de cor de chasse, Cité Véron.
Tu aurais eu 100 ans cette année. L’an dernier, pour les 60 ans de ta mort, avec ma collègue brune et sexy préférée, nous avions rédigé un article sur ta pomme : « Boris Vian, éternellement actuel ». Je n’y retrancherais rien. 

Depuis plus de trente ans que je t’ai découvert,
je trouve que ta fantaisie, ta provocation et ta poésie n’ont pas du tout vieilli. Et ça, c’est fort, très fort même, quand on voit avec quelle vitesse on écrit des poèmes aujourd’hui, et surtout avec quelle célérité la plupart d’entre eux s’effacent aussi vite de nos mémoires, et de nos tripes.


Par contre, tes textes, eux, me font toujours le même effet – que veux-tu – quand je me replonge à nouveau dans les poèmes tendres, merveilleux et fatalistes de
Je voudrais pas crever du long volume vert édité par Jean-Jacques Pauvert en 1962, que mon père m’a confié en 1991… et qu’il avait lui-même acheté à 22 ou 23 ans.

À 15 ans, j’ai été moins marqué que d’autres par L’Écume des jours ; sans doute n’étais-je pas assez mûr à l’époque et, peut-être, aussi, la faucheuse n’avait-elle pas encore assez malmené ma vie ensoleillée et rageuse, comme la déception amoureuse, d’ailleurs, pour que je mesure à mon tour toute la force émouvante et vibratile de ce roman poétique si singulier.

Quelques années plus tard, je l’ai redécouvert, et j’ai été ému par Colin - ce jeune homme rêveur, doux, désemparé, contraint de surveiller des fusils au bout desquels ne pousseront que des roses blanches, pendant que sa jolie compagne meurt en souriant, malgré ce « nénuphar » qui l’étouffe, et leur maison « symbole de leur bonheur familier » qui rétrécit, elle aussi, de jour en jour - bouleversé encore par Chick, l’ami immature de Colin, fétichiste-bibliophile délicat, qui meurt en défendant ses livres reliés de Jean-Sol Partre, face à l’aveuglante et stupide brutalité policière. Comme ton roman reste encore aujourd’hui d’une confondante actualité !

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Quand, à 18-19 ans, j’ai acheté J’irai cracher sur vos tombes. Ce livre-là, lui, m’a définitivement soufflé. Je me revois dans ma petite chambre de village refermer le livre sur une dernière suffocation. Boxeur groggy par l’impact et la virulence de ce roman, pastiche d’un roman noir américain écrit sous le pseudonyme de « Vernon Sullivan » en août 1946, en un mois seulement. Quel tour de force !

Ton roman devint aussitôt un best-seller avant d’être ensuite condamné pour outrage aux mœurs. Depuis, il a fait bonne figure parmi toutes tes autres productions littéraires chez Christian Bourgois dans la collection 10/18 et, aujourd’hui, tu plastronnes même en livres de poche (et dans la collection La Pléiade depuis septembre 2010 ) !

Il y a, dans ce roman noir sulfureux, un chapitre terrible, au réalisme cru, où les deux principaux protagonistes de l’histoire, Dexter, jeune blanc raciste de la haute société américaine et son ami, Lee Anderson (libraire métis), se rendent, avinés, dans un quartier très pauvre pour abuser de deux jeunes filles prostituées par une grosse négresse. Lee Anderson se trouvera dans l’obligation d’accompagner son « camarade » pour accomplir leurs horribles méfaits. Sinon la vengeance qu’il ourdit à l’encontre du racisme des Blancs risque d’être déjouée par l’immoral Dexter.
C’est un polar extrêmement efficace, tendu, violent, captivant, mené tambour battant d’une main de maître.

Mais ce sont peut-être davantage tes autres livres, 
cher Boris, moins connus, qui m’ont séduit : L’Arrache-Cœur que je trouvais plus puissant, poétique, pessimiste, visionnaire, Et on tuera tous les affreux, ton 3e polar « Sullivan » qui me semblait plus original et hilarant, et tes livres de nouvelles aussi, absurdes et farfelus, où il y a des bijoux comme « Le plombier » ou « Le voyage à Khonostrov » dans Les Fourmis ou « L’amour est aveugle » dans Le Loup-garou et autres nouvelles

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Pendant quelques décennies, j’ai tâché de dénicher ton petit recueil de poésie qu’avait eu la chance de publier René Rougerie en 1949 : Cantilènes en gelée, illustré par Christiane Alanore, avant de m’apercevoir qu’il était devenu assez introuvable, et enfin totalement hors de prix !

Boris, tu fus aussi l’ami de Raymond Queneau, Jean Paul-Sartre, Juliette Gréco et de Jacques  Prévert. Quelle chance ! Quel pied ! tu as eu, là, « Bison Ravi » !

Enfin, tu fus l’auteur-compositeur-interprète (brillant mais piteux) de tes propres chansons au Cabaret parisien des Trois-Baudets où tu seras encore, sans le savoir, à l’origine de la vocation de Serge Gainsbourg, qui ira même t’y écouter plusieurs soirs d’affilée…

Le 12 novembre 1958, tu soutiendras même, à ton tour, dans un article enthousiaste et clairvoyant du Canard enchaîné le premier album de Serge Gainsbourg : Du chant à la une !

Ton génie était très précurseur et ton génie, en plus, avait du flair !

Salut Boris, j'espère que ça gaze aussi pour toi, tu vois, je t'ai toujours dans la peau !