vendredi 24 décembre 2021

Je me souviens #11

chanson-francaise
Ce mercredi-là, un concours de Chanson Française avait été organisé par la Petite Cave au Théâtre Sébastopol de Lille. Des chanteuses et des chanteurs se produisaient alors sur scène. C’était le meilleur du pire. Le maître de cérémonie, un petit homme grisonnant, sorte de Jacques Martin local, en faisait des tonnes. Il avait même placé son poulain parmi les candidats, un Francis Cabrel de seconde zone en chemise à fleurs, qui avait copié jusqu’à la moustache de son idole. Un de mes amis, auteur-compositeur, figurait parmi le jury car, à cette époque, il cachetonnait pour la Petite Cave, en reprenant des chansons inédites de Brassens, pendant que les convives du restaurant se bâfraient allègrement, sans même y prêter attention.
Parmi les candidats, certains me marquèrent plus que d’autres. Notamment cette blonde aux formes plantureuses qui chantait trop fort sur une bande-son - comme toutes ces chanteuses à voix du moment, et un certain Chinaski qui avait chanté Bukowski et un « autoportrait au radiateur ». Après que le jury ait délibéré, je vis soudain mon pote s’éclipser de la scène par le rideau de derrière. Le maître de cérémonie annonça le résultat et tendit sans surprise le prix à son poulain. Les esprits s’échauffèrent rapidement. Des sifflets et des cris de désapprobation montèrent des quatre coins de la salle et, sur scène, les candidats ulcérés criaient à l’injustice et à la mascarade, et l’un d’entre eux avait même empoigné le maître de cérémonie en s’apprêtant à lui donner un solide coup de poing, comme dans une scène de saloon.
Avant que cela tourne au pugilat généralisé, je décidai de quitter le théâtre pour aller boire un coup dans le bar d’en face avec mon meilleur ami qui était moins dépité que moi,
par ce prix truqué, où le tenancier de ce cabaret-spectacle avait surtout voulu se faire un gros coup de pub, complètement manqué, et qui, en plus, avait certainement dû se solder par un savoureux œil au beurre noir. (Pas La Fine Fleur de la chanson française)

© François-Xavier Farine, textes inédits (2011-….)

vendredi 19 novembre 2021

Un monde parfait / Les Innocents

On a des bibles
des hymnes, des icônes
le jour du Seigneur
Enghien, Silverstone
tout un nuancier
l'homme invisible
et celui de vingt heures
les chanteurs
les cercueils, les cyclones

le convertible
les membres inférieurs,
comme le cœur
on cherche un emploi
tout reste plié
cette idée terrible
en nos douillets intérieurs
d'aujourd'hui devenu autrefois
humain de métier

C'est un monde parfait
de Papeete jusqu'à l'au-delà
c'est un monde parfait
on pourrait imaginer vivre là

l'inaccessible
une étoile meilleure,
trouver l'âme sœur
au-dessus de l'ozone
une branche éloignée
un combustible
brûler nos pesanteurs
vus d'ailleurs
on est tous autochtones
humain de métier

C'est un monde parfait
presqu'aussi parfait qu'il est plat
c'est un monde parfait
mais on est bien au-dessus de ça

vus d'ailleurs
on est tous autochtones
humain de métier

C'est un monde parfait
le vent souffle, on ne bouge pas
c'est un monde parfait
on s'en ira, le vent restera
un monde parfait...


Paroliers : Jean-Christophe Urbain / Jean-Philippe Nataf
Paroles de « Un monde parfait » © BMG Rights Management, BMG Rights Management (France).

vendredi 12 novembre 2021

À la piscine avec Norbert de Véronique Pittolo

véronique-pittolo-à-la-piscine-avec-norbert
Seuil, 2021. - (Cadre rouge)
17 Euros

« À cinquante ans, il faut faire des efforts pour atténuer les petites rides qui commencent à se voir, les trucs embarrassants des cabines d’essayages. », c’est ce que pense l’héroïne de ce roman qui pratique la natation quotidienne et tchate sur les sites de rencontre, où elle fait la connaissance de Norbert, type pathétique, plutôt primaire, à la libido galopante, avec lequel elle s’entend bien, malgré ses avis tranchés.

Avec Norbert, elle parle de tout : sexe, genre, politique, problèmes sociaux… tandis que ses autres partenaires sont plutôt flottants.
À force de dos crawlé et de clics compulsifs pour multiplier les partenaires occasionnels, elle se sent libre et épanouie. Ce qui ne l’empêche pas de divaguer et de refaire le monde !

Poétesse née en 1960, Véronique Pittolo propose un roman féministe enjoué et de « sexe drôle » à tournure sociologique qui fait beaucoup de bien.

(Le poète belge, Daniel Fano, avec lequel j'ai correspondu pendant plusieurs années, me disait beaucoup apprécier cette poétesse et notamment son livre, Ralentier Spider, paru en 2008 aux éditions de l'Attente.)

mercredi 10 novembre 2021

J’espère (quelque part) qu’elle lira ce poème… #11


Je n’ai jamais parlé d’elle
avant
de la première amoureuse
j’avais juste dix ans
c’était une petite brune, vive,
au teint hâlé.
De jolis grains de beauté
constellent son visage.
Le dernier soir
- c’est la boum de fin de colo -
toutes les filles ont été maquillées
pour l’occasion
par Babeth et Marie-Agnès
(nos monitrices).
Delphine est la plus belle
elle sourit tout le temps
avec ses souliers vernis
sa petite robe blanche
à liserés bleus
on danse des rocks endiablés
avec elle j’apprends vite et je la vois
tourner sur le carrelage de cette salle de classe
comme une petite tornade bleue
puis dans ce couloir
aux porte-manteaux dépareillés
avant de se quitter
à la nuit tombée
on se fait un smack merveilleux.
Son père, Dédé, est mon dirigeant
de foot depuis quelques années
affable et discret
derrière sa moustache docile.
Un an plus tard
Delphine est morte
dans un accident de la route.
Je suis à Ennevelin dans la foule
des enfants endeuillés
je porte un lourd géranium de fleurs
plus lourd que moi
personne ne sait
personne n’a jamais su
(sauf Cyril et Merguez
mes deux meilleurs amis)
après j’ai décidé de vivre deux fois
plus fort deux fois plus vite
et d’embrasser chaque jour le sourire de l’univers
jusqu’à plus soif
avec son souvenir planté comme une fleur incandescente
dans le ciel bleu de ma tête.

samedi 30 octobre 2021

Chihuahua Pearl

david-hockney-piscine


Elle est belle
comme la terrasse
d'une piscine de grand hôtel
en hiver
comme ces tombes mexicaines
recouvertes de confettis
comme un écureuil
qui traverse la départementale mouillée
un dimanche matin
comme la veilleuse oubliée
dans la nuit d'un enfant
elle est belle crois-moi
comme le parfum de la vie
qui te marche sur les pieds

Thomas Vinau

Extrait de
Poèmes d'une Amérique imaginée. in Le Coeur pur du barbare.
Le Castor Astral, coll. Poche/Poésie, 2021
9 Euros.

mardi 5 octobre 2021

C’est difficile

albane-gellé-aucun-silence-bien-sûr
À Albane Gellé et Emmanuelle Le Cam,

deux poétesses que j’aime bien, depuis fort longtemps, et dont je n’ai pourtant jamais parlé dans mes diverses chroniques.

C’est difficile
de capter l’air du temps
de garder le moral
de chier en silence
au travail
de dire oui à toutes les injustices
qui peuvent nous tomber
parfois au coin de la gueule
ou au coin du prochain trottoir
rempli de graviers
C’est difficile d’être bientôt
éconduit par la jeunesse
de ne pas être épargné
non plus par la vieillesse
qui pointe
emmanuelle-le-cam-les-nus
déjà le bout de
son nez
c’est difficile de courir
moins vite qu’avant
et de rire malgré tout
malgré les courbatures
et les crampes au réveil
souvent trop matinal
pour être vrai
c’est délicat d’en parler
face à toute cette jeunesse exubérante
et si belle qu’on croise
dans les rues piétonnes de la ville
éclatante.

vendredi 24 septembre 2021

Cécile Coulon torpillée par Frédéric Beigbeder dans le Figaro...

Frédéric-Beigbeder

Publier, c'est s'exposer à la critique. En matière littéraire, elle est hélas devenue trop souvent consensuelle. J'ai de plus en plus l'impression, surtout en poésie, que la plupart des journalistes de presse écrite ne lisent que la quatrième de couverture et le courrier de promotion accompagnant les ouvrages reçus en Service de Presse.
À de trop rares exceptions tels Stéphane Bataillon ou Guillaume Lecaplain, ils ne connaissent à peu près rien à la poésie d'hier et d'aujourd'hui.

Dès novembre 2018, j'avais écrit sur ce blog le billet d'humeur suivant :
« Cécile Coulon, Prix Apollinaire 2018 : j'en tombe à la renverse. »

J'avais été un des seuls, à l'époque, dans le petit milieu de la poésie, à m'ériger contre ce prix remis à Cécile Coulon, pour la simple et bonne raison que le recueil en question (Les Ronces) me paraissait assez moyen et les poèmes de qualité inégale pour un des prix les plus importants qui couronne, chaque année, depuis 1985, le Goncourt de la Poésie.

J’avais écrit ce post en moins de dix minutes. Je n'avais pas eu envie non plus d'avoir la dent trop dure envers la « jeune » poétesse de 26 ans, ni de perdre un temps précieux à élaborer une longue critique plus argumentée.

Jusqu'ici, j’avais toujours préféré me taire et défendre les bons poètes, en revues comme sur Internet, ce depuis 2001. Ensuite, au milieu des années 2000, je me suis aussi intéressé aux poètes de la nouvelle génération dont la plupart m’ont enthousiasmé en leur consacrant parfois même plusieurs articles : Amandine Marembert, Sophie G. Lucas, Claire Malroux, Thomas Vinau (publié depuis en Poche poésie), Jean Marc Flahaut, Christophe Esnault, Christophe Siébert (publié depuis au Diable Vauvert), Marlène Tissot, Grégoire Damon (publié depuis chez Buchet-Chastel), Simon Allonneau, Emanuel Campo, Sammy Sapin, Marc Guimo, Perrin Langda , Guillaume Siaudeau, Thierry Roquet, Thierry Radière (publié depuis aux éditions de La Table Ronde), Frédérick Houdaer (publié depuis au Dilettante), Samantha Barendson (publiée depuis chez Jean-Claude Lattès), Heptanes Fraxion, Florentine Rey

Suite à mon petit post agacé, un article du jeune journaliste, Thomas Deslogis, «Poésie française, ton univers impitoyable » avait paru sur Slate.fr, où celui-ci avait quelque peu caricaturé mon propos. Il venait alors à la rescousse de la poétesse télégénique, dont il était proche.
Vive la neutralité de la presse !

Je n'ai jamais demandé un droit de réponse au journal en ligne. J’aurais pu.
Par contre, j'ai répondu en privé à Thomas Deslogis pour lui expliquer clairement ma position et le pourquoi de ce billet qu’il jugeait « aigre » quand je le trouvais au contraire totalement justifié.

Aujourd’hui, c'est au tour du romancier et critique, Frédéric Beigbeder, de ne plus mâcher ses mots et d'enfoncer le clou dans un court article extrait du Figaro au sujet de Cécile Coulon en écrivant clairement qu’il y a « tromperie sur la poétesse », alors qu’elle est pourtant invitée partout depuis quatre ans pour parler de la poésie sur tous les plateaux télé (qui n’y connaissent évidemment strictement rien non plus en ce domaine) et malgré le fait aussi qu’elle ait également vendu (on me rétorquera) plus de 10 000 exemplaires de son recueil, Les Ronces, auprès du grand public.

Ce à quoi je peux aisément répliquer que, quand on possède la puissance de feu d'un éditeur de poésie comme le Castor Astral, on peut facilement faire monter un auteur au firmament de l'édition poétique, en plaçant son livre bien en évidence avec le bandeau du « Prix Apollinaire 2018 » en tête de gondole de tous les rayons poésie des librairies de France et de Navarre.
Ce que tous les éditeurs de poésie feraient bien évidemment en pareil cas : il ne faut pas non plus être dupe !

« Plus de 10 000 exemplaires vendus en poésie, Monsieur, c'est tout de même incroyable... ça prouve que son recueil plaît au plus grand nombre ! »

- « Et alors ? Qu’est-ce que cela prouve ? » Sinon qu’en poésie, elle est un peu l’équivalent d'un Guillaume Musso en littérature. À chacun son trip poétique...

Depuis novembre 2018, j’ai écrit que ce n’était pas le mien. Et que plein d’autres auteurs et autrices méconnus du vieux jury de l’Apollinaire auraient déjà  avoir droit au chapitre.

Rien de plus, rien de moins. « Le petit poète » (et chroniqueur amateur) que je suis - pour parodier le titre d’un bon petit ouvrage de Roland Bacri, ex-poète au Canard Enchaîné - n’est pas mécontent d’être enfin rejoint par l’avis cinglant de ce grand Monsieur, écrivain, critique et fin connaisseur du Monde des Lettres, et notamment de la littérature américaine.

lundi 6 septembre 2021

lundi 30 août 2021

Abdellatif Laâbi, fraternel et écorché

laâbi-anthologie jeunesse
Ce que poète désire : Anthologie de poèmes pour la jeunesse
Illustré par Laurent Corvaisier
Rue du Monde, 2021. - (Livres-événements)
17,80 Euros

Né à Fès en 1942, grande voix de la poésie contemporaine, Goncourt de la Poésie 2009, l’écrivain franco-marocain, Abdellatif Laâbi, a composé lui-même une anthologie de ses poèmes (de 1981 à 2020) pour jeunes lecteurs, égayée par les illustrations colorées et vibrantes de Laurent Corvaisier, mais qui conviendra aussi à chacun d’entre nous.
On y retrouve ses thèmes de prédilection : l’insoumission, l’engagement face à tout type de barbarie, de totalitarisme et de haine ; l’espoir en une liberté commune et en l’être humain ; la foi indéfectible en l’amour, la poésie.
Ces poèmes sont simples et percutants et ne retiennent que l’essentiel.
Ils sont étroitement liés au parcours d’homme d’Abdellatif Laâbi et à son existence de poète militant, emprisonné pendant 8 ans dans les geôles d’Hassan II, et qui, revenu de l’enfer, n’a de cesse de continuer  de témoigner passionnément pour le sel de la vie, avec « les  mots de la tendresse » et « le bréviaire de la fraternité » au poing.

Le site de l'écrivain Abdellatif Laâbi

samedi 28 août 2021

Les pensées à géométrie variable de Félix Faricton

tarzan


(Hommage en Jean L’Anselme)

 Il ne faut pas prendre les choses avec le dos de la cuillère. Les gens encore moins.

*

Mon fils fait du feu avec deux pierres comme les premiers hommes. À chaque fois, c’est bouleversant, car nous pourrions être les derniers.

*

C’est fou comme je suis heureux en ce moment, je passe mon temps à rédiger des pensées qui me seront certainement enviées plus tard. Je suis un auteur prophétique, mais faut pas trop exagérer non plus !

*

Quel est le con qui a inventé les tondeuses et les tronçonneuses qui fonctionnent les week-ends et jours fériés ?

*

 Jésus est encore ressuscité. J’espère que ça ne va pas donner des idées à Macron !

*

J’aime beaucoup le vélo. Surtout quand je suis parfaitement positionné devant ma télé.

*

 J’adore cette expression : « Un vent à décorner les cocus ». Si j’en étais un, je ne sais pas si ça me ferait le même effet.

*

À la fin de sa vie, Johnny Weissmuller (alias Tarzan) a été interné. Il continuait à pousser son célèbre cri d’homme-singe dans les couloirs de l’asile. On pense qu’Il ne voulait pas qu’on oublie qu’il avait été le premier super-héros en noir et blanc de notre jeunesse.

*

T’as un mouchard dans ton ordi que tu ne me réponds pas, du con !

*

De près ou de loin, les primes de travail sont toujours passées dans mon cul.

*

Mon téléphone sonne. C’est une bonne chose. Il peut continuer de sonner longtemps. C’est toujours à moi de le décrocher.

*

Devant chez moi, les voitures ne cessent de passer. C’est fatigant à la fin.

*

Mon horizon : un ciel gris couturé de pylônes, lézardé de fils électriques, de maisons de briques aux tuiles dépareillées. Pas de quoi en faire un poème non plus.

*

Happening de poésie

Je vais bientôt réaliser des performances poétiques où je frapperai plus fort que mes prédécesseurs : il n’y aura plus de texte du tout, juste des borborygmes savamment orchestrés par des bruits de pet. Puis je conclurai ma prestation par un équilibre parfaitement exécuté, tête dans la boue et la bite au vent.

*

Aujourd’hui, je ne suis pas inspiré. Il vaut peut-être mieux que j’aille boire un coup chez le voisin.

*

Quand j’écris, je ne lis plus. Quand je lis, je n’écris plus. C’est un drame quotidien.

*

Je suis un drôle d’esthète de l’écriture. Parfois même un esthète de con ou un esthète de l’art.

*

J’aime les femmes culottées, mais aussi sans.

*

Mon voisin a une belle maison. Et si j’osais vous faire une confidence, je dirais même que je préfère sa maison à sa tête.

*

 L’ère des compte-rendus

C'est la nouvelle ère des compte-rendus. Tant de comptes-rendus en si peu de temps, de frénétiques doigts qui frétillent sur leurs petits claviers que, bientôt, on ne saura plus dans quel compte-rendu on avait écrit cela et, du coup, on perdra un temps infini à rechercher cette phrase dans un de ces fichus compte-rendus. Je pense que le plus judicieux serait d'écrire un nouveau compte-rendu qui rendrait aussitôt inefficace voire caduque tous les anciens compte-rendus !

*

 Un écrivain qui réfléchit, ça fait du bien !

*

 Conseil à un jeune poète : N’écoute pas les poètes vermoulus d’hier !

*

Balzac disait : « Une nuit d’amour, c’est un livre de moins. » C’est bien pour ça que je ne serai jamais Balzac !

*

Je suis allé dans la plus petite galerie du monde hier, je n’ai pas trouvé la sortie.

*

Le progrès technique ?

Avant j’écrivais beaucoup de lettres à mes amis. Quand je les appelais au téléphone, ils répondaient tout de suite. Depuis l’invasion des répondeurs, puis des téléphones portables, on se répond par messages interposés, plusieurs jours après, en différé.

*

Si Sartre revenait, il écrirait sans doute aujourd’hui : « L’existentialisme est un humerdisme. »

*

J’espère encore publier des livres mais qui les lira et, surtout, qui les chroniquera ?

*

Un écrivain qui réfléchit, ça fait du bien. Un écrivain qui écrit, c’est encore mieux !

*

Je suis déjà génétiquement modifié par la connerie ambiante.

*

En Chine, il est même interdit de rire jaune. Par contre, en Russie, si on défie le pouvoir en place, on saigne aussi rouge.

*

Limoges : leur ado de 15 ans refuse de débarrasser la table, les parents appellent la police.

*

Il ne s’agit pas d’être pour ou contre » dit le chef. « Cela nous est imposé. ». « Ni Dieu ni Maître » est un slogan qui n’a jamais eu autant de plomb dans l’aile qu’aujourd’hui.

*

J’ai oublié la citation que je devais écrire aujourd’hui. Je vais tout de suite passer à la suivante.

*

(Inédits, 2021 à ....)

mardi 29 juin 2021

goutte d'eau

goutte-d-eau
Tu aimerais écrire un poème
tout petit
comme une goutte d’eau
très pure
puis tu le ferais rouler délicatement
dans la paume de ta main
pour les autres

Quand tu cours
tu voudrais effacer la vitesse
du paysage
un peu comme quand tu prends le train
pour nulle part

Des murs se sont effondrés
derrière toi
devant toi
tu te tiens toujours debout

Ciel bleu
parfait
sans nuage
tu voudrais être un morceau de ce ciel
parfois

un gros caillou lisse et blanc
ou les branches d’un arbre graciles
qui frissonnent dans le vent

un poème de Thierry Metz
nu, pauvre et minéral

C’est ça que tu aimerais être

l’herbe et le soleil en même temps

une nuée de tourterelles qui vole

dans l’été qui éclate

dans la lumière

dans la poussière de l’été

dans le lit fruité et ombragé de la rivière.

(François-Xavier Farine, inédit, juin 2021.)

mercredi 23 juin 2021

Une lettre inédite du poète André Laude (1936-1995)

André Laude
47 rue chapon
75003 Paris

                                      Lettre du 4 novembre (1985 ?) à Éric Ballandras

andré-laude
J’ai bien reçu votre courrier. Je ne puis malheureusement pas m’abonner actuellement. Je suis – malade et chargé d’âmes – dans une situation économique pénible. Au point que l’écriture poétique est en sommeil.

Tous mes vœux à « la Bartavelle ».
Il me plaît que vous inaugureriez avec Georges Herment. Lui, Jean Malrieu, Gerald Neveu, tous morts, furent mes amis et furent amis entre eux, amitiés volcaniques.

J’ai participé à la naissance (et à l’agonie) de nombreuses revues. Épuisante aventure. Pourtant je persiste. Nous préparons entre France et Québec Levée d’encre. C’est François Vignes des Ed. la Table rase (où va paraître un volume d’hommages à Malrieu) qui est le maître d’œuvre.

Tenez-moi au courant. Je parlerai autour de moi.

Mes amitiés
André Laude.

vendredi 18 juin 2021

J’espère qu’elle lira ce poème… #10

AST-1983
Elle avait des cheveux
mi-longs 
châtains
de beaux petits seins ronds
son frère était le gardien
de but de mon équipe
dès qu’il a su
que j’étais avec sa sœur
il m’avait mis en garde
(d’ailleurs)
comme un grand frère précautionneux
elle m’a surpris plus d’une fois
par son étonnante douceur
qu’elle cachait sous l’exubérance
de ses rires
On roulait parfois dans l’herbe
d’un champ
aujourd’hui disparu
près de la caserne
des pompiers
quand j’allais la chercher
en bicross
à deux pas du terrain de foot
je mettais la gomme sur cette route
qui faisait des lacets heureux
Une fois c’est sa mère qui
m’a ouvert la porte
sans gêne, sans humeur                         
et sans peur non plus
J’ai bien aimé aussi
ce moment-là
quand je l’ai vue arriver
dans l’embrasure de la porte
de ma jeunesse
éblouie
je l’ai revue l’an dernier
lors d’un tournoi
dans mon village
avec mon fils dans les bras
trente-trois ans après
elle n’a pas osé me parler
moi non plus
son sourire très discret
a pourtant retenti
de toute sa force
sur nos quinze ans révolus
sur cette adolescence de feu
qui n’a jamais menti.

lundi 31 mai 2021

Benoit Jeantet, dandy poète…

pieds-nus-dans-la-neige
Benoit Jeantet
Pieds nus dans la neige
Encres de Marc Bergère
Éditions Mazette, mars 2021
14 Euros

On dirait que Benoit Jeantet écrit toujours le même poème : il y est souvent question d’une fille, suffisamment singulière, attrayante, d’une jeunesse « mythique », mordorée, et du temps qui passe inéluctablement… Mais c’est toujours avec une élégance rare et un ton qui n’appartiennent qu’à lui.

J’aimerais pouvoir
encore
m’émerveiller

Croire que les filles
naissent blondement
sur le trottoir
de l’ombre

Tous les textes que cet auteur avait publiés dans l’ex-revue N.A.W.A. en ligne, ces deux dernières années, étaient à peu près tous excellents. Il glissait souvent dans ces sortes de dérives ou de « rêveries sentimentales » des références fugaces au cinéma ou à la musique pop des années 80. Ce qui me ravissait. Car cela contribuait à donner plus de relief à ses divagations de « garçon perdu et éperdu ». De quoi faire grandir et rebondir le poème au-delà de son aporie ou de sa petite identité.

Il y a dans les poèmes de Benoit Jeantet quelque chose de l’ordre de la délicatesse et de l’indécrottable nostalgie…

J’ai encore oublié
que toute ta vie
tu avais attendu
un miracle

un petit oiseau
capable
de prendre
une position morale
assez claire
en dépliant le soir
comme une boîte de nuit
quand tous les lapins anonymes
ressortent du terrier
alors qu’il n’y a plus
ni lune
ni étoiles

Des fois, on sent poindre aussi une atmosphère ou des personnages vaporeux, énigmatiques, semblables à ceux qui hantent parfois certains romans de Modiano comme Villa triste ou Un cirque passe

En poésie, Benoit Jeantet me fait parfois penser à ce qu’incarne Jean-Louis Murat dans l’univers de la chanson. C’est un garçon à part. Un des derniers poètes romantiques et désespérés, mais il l’est, lui aussi, avec un zeste d’élégance.

Laissons-les
mener leur enquête
comme des singes
sur leurs bicyclettes
à la recherche
de nos cadavres
dans les eaux disputées
de la jeunesse


>> Commander le recueil

Lubies : détours, traverses : le blog principal de l'auteur

dimanche 16 mai 2021

Je transporte des explosifs... un essai de Jan Clausen

je-transporte-des-explosifs-jan-clausen
suivi d'une anthologie de poèmes bilingues anglais-français de 24 poétesses féministes étatsuniennes :
Anna NietoGomez, Jayne West, Kay Lindsey et al.
Cambourakis, coll. Sorcières, 2019
22 Euros

D'abord il y a ce titre, Je transporte des explosifs on les appelle des mots. Un titre qui claque au vent comme un drapeau de pirate.

Tellement beau que j'ai de suite envie de l'encadrer au mur du salon, entre la pochette de London Burning et la photo d'Iggy.

Ensuite il y a le sous-titre qui pose le décor : Poésie & féminismes aux États-Unis.

Les pirates sont des pétroleuses, et ça me va plutôt bien. 

Le recueil s'ouvre sur une première partie passionnante écrite en 1982 par la poétesse militante Jan Clausen, qui retrace l'histoire de la poésie féministe des années 60-70 aux États-Unis et en fait un état des lieux passionnant.  

J'imagine très vite les réunions enflammées, les ronéos qui tournent, l'ambiance survoltée, les coupes afro, les brushings drôles de dames, les points levés, les manifs, les chemisiers en Tergal  et les cols pelle-à tarte. Les grands-mères de la poésie féministe étaient des dures à cuire, et plusieurs se sont retrouvées à fond de cale pour insubordination, enlèvement et autre acoquinement avec les Blacks Panthers. 

Quelle chouette époque !, me dis-je, emprunte d'une nostalgie presque larmoyante, bercée par la B.O. de Shaft

Et puis, le tableau dressé me chafouine. Un peu.

Considérer la seule valeur et raison d'être de la poésie comme arme de combat me laisse un goût amérisant, comme disent mes amis brasseurs amateurs. Je berce l'idée, romantique peut -être, de  croire que la poésie est aussi un élan littéraire, un art. À penser et dire cela, ces chères poétesses américaines m'auraient certainement taxée de soumission à l'ordre patriarcal établi et oisif et mise au pilori. Ouf ! Jan Clausen pose le doigt sur ce détail... qu'elle relève aussi.

Ce chafouinage peut pourtant paraître superflu et anodin (et à juste titre peut-être) en comparaison du malaise qui s'empare de moi au fil des pages :

Ces femmes étaient révoltées, avides de justice, de liberté et d'égalité et entraient en action afin de survivre. Nous leur devons beaucoup, et je dis bravo. Je dis merci et j'applaudis des deux mains, voire plus si la nature m'avait pourvue d'un quelconque membre supplémentaire.

Le problème selon moi ? Ces militantes combattantes légitimaient le fait que les noires ne devaient écrire que pour les noires, les lesbiennes que pour les lesbiennes, les hispanos pour les hispanos, les butchs pour les butchs, etc. arguant que toute non-appartenance à telle ou telle communauté en empêche la compréhension.

Ce système de pensée féministe tendant à exclure plutôt que rassembler explique peut être pourquoi, des décennies plus tard, certain.e.s en viennent à penser qu'une traductrice blanche ne peut s'emparer des textes d'une poétesse noire. Perplexité.

Jan Clausen soulève le manque d'autocritique du mouvement et sa difficulté, finalement, à sortir des carcans qu'il s'est imposé.

Le miracle est la vitalité de ce mouvement, et les pépites qui en sont sorties.

Pépites que l'on retrouve dans l'anthologie bilingue de poèmes écrits entre 1969 et aujourd'hui, qui compose la deuxième partie du livre.

Des noms connus (Audre Lorde, Adrienne Rich) et inconnus se succèdent. Mais peu importe finalement de savoir si ces femmes sont jeunes, vieilles, asiatiques, hétéros, etc. : leurs poèmes sont des cris, des hurlements venus des entrailles pour dire assez. Assez de viols, assez de discriminations, assez de meurtres des plus faibles par les plus forts.
Ces poèmes disent aussi l'amour, le bonheur et la difficulté d'être soi. Ils sont toutes les voies et voix de la différence et de la diversité. Toutes les peurs et tous les espoirs aussi.

De ces poèmes explosifs qui raisonnent longtemps - et dont on aimerait retenir chaque mot tant ils bouleversent, percutent et bousculent - il faut noter le magistral « Pouvoir » d'Audre Lorde, l'exceptionnel « Monstre » de Robin Morgan ou encore les poèmes de June Jordan, Assata Shakur, Kay Lindsey...

« Alors il vaut mieux parler

en se rappelant

que nous n'étions pas censées survivre »

Audre Lorde


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Beat Attitude : Femmes poètes de la Beat Generation, nouvelle éd. augmentée, éd. Bruno Doucey, 224 pages, coll. Tissages, 2020, 20 €.

dimanche 9 mai 2021

Ce merveilleux GLM alias Guy Lévis Mano (1904-1980)

guy-levis-mano
éditeur des belles éditions GLM et poète lui-même : ce qu'il ne faudrait pas oublier, malgré sa discrétion et son parfait travail d'artisan-éditeur-typographe.

Le premier poème extrait de son  recueil Le Dedans & Le Dehors (GLM, 1961) :


Je vous parle des murs

Si tu parles aux murs, fais attention, je te préviens fais attention Les murs sont comme ces plantes bizarres qui semblent fermées et quiètes    Mais ce n'est pas vrai
Un moment, ou l'autre, elles s'ouvrent subrepticement ‒ c'est toujours au contact d'une proie ingénue 
‒ et elles se referment vous ayant happé irrémédiablement, et assimilé
Et vous êtes encore là à les regarder comme si rien ne s'était passé    Je vous en parle 
‒ des murs ‒ et vous mets en garde, parce que j'en sais beaucoup sur leur comportement, moi qui suis ennemi déclaré des murs, et qui leur tiens des discours offensants, leur faisant entendre qu'ils ne sont pas
de la race des portes et des fenêtres qui ont deux richesses : le dedans et le dehors
Les murs m'ont inoculé l'obsession du dehors.

Guy Lévis Mano

> Bibliographie :
Guy Lévis Mano, Loger la source (sorte d'anthologie), Gallimard, 1971. 
Guy Lévis Mano, étude de Andrée Chedid et Pierre Torreilles : Poète d'aujourd'hui n°218, Seghers, 1990.

L'Association Guy Lévis Mano propose encore, pour les amateurs, quelques anciens recueils des éditions GLM à la vente.

jeudi 6 mai 2021

J’espère qu’elle lira ce poème… #9

fille-j-espere
(à Jean Marc Flahaut.)

Ça a commencé comme un contretemps
entre nous
j’avais été invité chez sa meilleure copine
qui en pinçait pour ma pomme
dans un appartement exigu
dont la fenêtre donnait sur un cimetière
près d’une voie ferrée
elle avait un rire pétillant
et sirotait un cocktail
à la paille en se délectant
elle était blonde et féminine
avait du tempérament
le genre de nana
qui savait toujours ce qu’elle voulait
elle travaillait comme stagiaire dans une grande entreprise
de cosmétiques
elle adoptait une posture qui la durcissait
j’aurais préféré qu’elle
s’attendrisse un peu (je pensais)
elle était fine, nerveuse,
un peu speed parfois, piquante aussi
elle pratiquait la gym tonique
et la musculation
et était particulièrement fière
de me montrer ses petits bras musclés
quand elle soulevait son pull
où tintaient ses bracelets d’argent
en riant
on parlait régulièrement
au téléphone
mais je n’arrivais pas vraiment
à briser la glace de ses sentiments
comme une bête craintive
elle paraissait
souvent sur la défensive
Nous étions allés au restau
puis sortis tard dans la nuit
je n’ai pas ressenti le déclic attendu
(et j’étais triste de ça)
c’était pourtant une super fille
(j’en reste persuadé)
même si la semaine suivante
quand je l’ai recroisée fortuitement
dans un bar de nuit de la ville
elle m’a interpellé vigoureusement
en me prenant le bras
relevant une mèche de ses cheveux
et en plantant son regard bleu clair dans mes yeux :
« Alors, comment tu vas ?
tu ne sais toujours pas
ce que tu veux ! »

mardi 4 mai 2021

J’espère qu’elle lira ce poème… #8

course-femme
Elle était musclée, jolie,
un grain de beauté
à la commissure des lèvres
elle venait de terminer ses études d’infirmière
avec toute sa vie ravie
mais incertaine devant elle
chaque dimanche on courait
ensemble au lac
on se donnait rendez-vous
sur le parking
près du musée d’Art moderne
avant de dévaler la pente
vers des bois profonds
qui donnait sur la clairière
où des tireurs à l’arc
aguerris
décochaient des flèches
dans des cibles de paille
Un jour, elle m’a téléphoné
pour que je vienne la voir
au dispensaire où elle travaillait
Je n’étais pas de pierre
bien sûr
Délaissée, cet été-là,
elle m’avait pris par la taille
délicatement en glissant ses mains
derrière mon dos
mais c’était difficile
pour moi
tu étais quand même
la femme d’un copain.

samedi 1 mai 2021

Aline Recoura chante et réenchante la Banlieue et Paris

Banlieue Ville
Peintures de Marjan
La lucarne des écrivains, 2020
20 Euros

Le titre est super ; les poèmes réjouissants… Je comprends mieux pourquoi Louis Dubost, poète et ex-éditeur du dé bleu, a été sensible à ce premier recueil d’Aline Recoura. Lui qui a souvent édité les « poètes du quotidien » ou « de la poésie du vécu ». Et j'ai cru comprendre qu'Aline Recoura a aussi été soutenue très tôt par Alain Crozier par le truchement de sa revue Cabaret qui publie principalement les femmes, et les nouvelles voix féminines aux éditions du Petit Rameur.

Beaucoup de textes me plaisent, en effet, dans Banlieue Ville. Poèmes en marche, plus mobiles (vélo, course) et en transports en commun (métro, bus, tramway), fluides, visuels, rythmés, colorés, cosmopolites, militants. Ils sont surtout pleins de gens et d’histoires. Peuplés et habités de belles présences humaines. Enveloppants, ils rayonnent d'empathie et d'humanité.

aline-recoura
Aline Recoura devant le décor familier de ses poèmes
Un seul petit bémol : le gros format, choisi par l’éditeur, me gêne un peu, moins pratique pour une lecture intime et le transbahuter partout avec soi. Même si ce format contribue par ailleurs à magnifier les peintures expressionnistes et colorées de Marjan accompagnant le recueil.

Si, avec beaucoup d’autres poètes, nous appartenons aux mêmes terres de « la poésie du quotidien », Aline Recoura a, quant à elle, une foulée beaucoup plus ample et plus lumineuse !
En 2002, j'avais écrit un recueil de poèmes urbains, assez proche : D'infinis petits riens. Envoyé aux Carnets du Dessert de Lune en 2007. J'avais hélas attendu sa publication pendant plus de 4 ans... avant de le proposer finalement chez Gros Textes qui le publia, 6 mois plus tard, en juin 2012.

Les principaux poètes du mouvement dit de « la poésie du quotidien »

Dans les années 80-90, des poètes aînés ont initié ou poursuivi ce courant poétique : François de Cornière, Georges-Louis Godeau, Gabriel Cousin, Michel Merlen, Jean-Pierre Georges, puis Guy Goffette, Gérard Noiret et Jean-Claude Tardif - moins cités que les premiers. Je les ai découverts au début des années 90. Ce fut une révélation pour moi ! Des poétesses comme Marie-Claire Bancquart et Valérie Rouzeau pourraient y être également rattachées.

On pouvait alors écrire des poèmes proches de la vie de tous les jours, en les illuminant de l’intérieur, attentifs à l’universel, et en gardant « la trace précaire de nos rêves, de nos incertitudes, de nos bonheurs et de nos désillusions ». Ce qui n’était pas du tout le genre promu chez Gallimard ni même chez Seghers à l’époque.

Nous étions dans les années 80-90 : la jeune poésie - qui apportait ce nouveau souffle - avait déjà - si on y regarde de plus près - trente à quarante ans d’avance… et tous ces écrivains sont devenus depuis des auteurs qui comptent dans l’Histoire de la Poésie contemporaine.

Les poèmes d’Aline Recoura s’inscrivent - sans qu’elle le sache vraiment elle-même - dans la veine de tous ces auteurs-là… C’est une belle et longue lignée.

Je tenais à vous faire découvrir trois poèmes représentatifs de Banlieue Ville parmi un choix copieux de 141 poèmes soleilleux, où vous vous époumonerez en Banlieue et à Paris, en agréable compagnie.
Notamment lorsque les textes justes et forts d’Aline Recoura observent finement l’humanité qui l'entoure (sans s’exclure non plus, d’ailleurs, de cette introspection).

Ces poèmes-portraits narratifs, pleins de sensations, de couleurs et d’histoires, en terre urbaine, ont du souffle, et l’auteure possède aussi ce sens précis des images qui emporte l’adhésion.

Dans celui-ci, la force suggestive me touche beaucoup :

Passé

La cabine téléphonique de la rue de Rennes
taguée aux orifices obstrués par du chewing-gum
le combiné et son fil ont survécu
éteints ils ne répondent plus
éteints ils ne vibrent plus
la carte téléphonique qui va avec
la monnaie au fond de la poche
la tonalité qui va avec
l’urgence qui va avec
et le pays qui va avec
et l’absence qui va avec
je regardais à travers les vitres
la brume d’hiver
peuplée de petits cristaux
les traces de mes doigts brodaient d’argent
tout ce qui ne se voyait pas
tout ce qui ne s’entendait pas
les disparus

La cabine téléphonique a un jour disparu elle aussi
elle est partie vivre une deuxième vie
d’œuvre d’art dans un musée contemporain
de bibliothèque design dans un loft
de boîte à livres
à Méaudre Pont-Aven ou Hyères

Dans cet autre, l’envie de retrouver Paris, ses couleurs et son effervescence :

Rue de la Huchette

Le ventre du quartier Latin
fontaine Saint-Michel
jardin du Luxembourg
le Panthéon et ses grands destins

Les ruelles aux airs de Grèce Tunisie et France profonde
nous perdent au milieu des restaurants racoleurs
le fumet des repas proposés lèche les touristes
des viandes vagabondes croisent les yeux des poissons

Vendeurs de cartes postales souvenirs de Paris
la rue est une permanente tour de Babel
les langues s’embrassent pleinement
comme les odeurs de gras de mayonnaise et de bretzels
Kébabs pains aux céréales marchand de glaces
le matin les petits-déjeuners servis aux voyageurs
avides d’un Paris typique populaire font la fête

Rue de la Huchette le jazz et la cantatrice chauve pleurent
Vendeurs à la sauvette massages petites chaises pliantes
bijoux parsèment le tissu posé à même le trottoir
leurs visages s’affaissent jusqu’au milieu de la nuit

La bière les attroupements les spots bas
La Huchette devient méditerranéenne sans sel
les touristes continuent de consommer gras
étanches aux cris ivres d’une aube annonciatrice d’irréel
La Huchette bruyante est tout à fait réveillée
un Paris désinhibé se retrouve et hèle
le ciel la terre l’univers les belles

(…)

Ce dernier, plus personnel, est tout aussi convainquant et salutaire :

Corps dans la rue

Mon corps dans la rue
la grosse la maigre la moyenne
la gamine la femme la jeune femme
prépubère gros bidon
toujours des regards disent quelque chose

Enceinte le couronnement du symbole et de l’anatomie
j’ai porté publiquement un bébé
je m’en suis enorgueillie
j’ai cru que je devenais intouchable
je suis changée en montgolfière

Enfant j’ai joué à porter
un coussin sous une robe
fantasme de la petite fille
une finalité dans la maternité
l’utilité sociale de nos désirs
ressembler encore à une sainte
enceinte

Se bercer d’illusions et approuver
la merveille d’enfanter
maigrir et rester mince

- enceinte de vingt à trente-cinq ans
j’ai eu un enfant tous les trois ans
d’autres répondent
- moi des enfants je n’en veux pas

Mince
Voix lancent tu es ma Barbie
voix lancent tu es ma Lolita
à quarante ans je réponds de ma vieillesse
Lolita a quatorze ans elle est victime du prédateur
je réponds mon bonhomme va te cultiver

Prépubère on m’appelle l’oignon
cachée sous des épaisseurs d’habits larges
ronde boulimique de gâteaux apéritifs et glaces
on me hèle
― tu es comestible
Je suis changée en bon plat dodu bien frais

Je me sens femme quand je marche dans la rue
Je me sens femme quand je ne suis pas femme


> Commander le recueil en contactant l'auteure via Facebook.

Aline Recoura a publié depuis deux nouveaux recueils :
Scènes d'école, Le Lys Bleu éditions, sans date, 12 €.
Cardio Poèmes, les éditions du Petit Rameur, avril 2021, 5 €.

>> Pour aller plus loin :

Petite bibliographie sommaire de la poésie du quotidien :

François de Cornière, C'était quand ? (1976-1996), le dé bleu, 2000.
Georges-Louis Godeau, Votre vie m’intéresse (anthologie), le dé bleu, 1985.
Gabriel Cousin, Dérober le feu (anthologie), le dé bleu, 1998.
Jean-Pierre Georges, Où être bien, le dé bleu, 1986.
Gérard Noiret, Chatila, Actes Sud, 1986.
Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu’il fait, 2002.
Marie-Claire Banquart, Terre énergumène, Le Castor Astral, 2009, rééd. coll. Poésie/Gallimard n°541, 2019.

N.B. : L'anthologie, Ces moments-là (poèmes 1980-2010), de François de Cornière, parue au Castor Astral en 2010, est hélas épuisée.
Les deux recueils suivants : Nageur du petit matin (2015) et Ça tient à quoi ? (2019) sont toujours disponibles chez le même éditeur.