jeudi 3 novembre 2022

Le prénom a été modifié de Perrine Le Querrec

Le-prenom
Éditions La Contre Allée
coll. La Sentinelle, 2022
15,50 Euros

« Le prénom a été modifié » est une formule consacrée que l’on retrouve dans les articles de presse relatant les procès, afin de préserver l’anonymat des victimes ou des présumés
coupables. Mais Le prénom a été modifié est aussi et surtout le titre de ce livre uppercut, 
écrit par Perrine Le Querrec, publié d’abord une première fois, en 2014, aux défuntes éditions Les Doigts dans la prose, et republié aujourd’hui par les éditions La Contre Allée.

Comme pour le recueil Rouge Pute qu’elle a écrit après Le prénom a été modifié, Perrine Le Querrec utilise la boue du réel pour forger une poésie âpre, corrosive, explosive, qui dit à la fois l’horreur et l’indicible.

Quel en est le sujet ?

Fin des années 2010 s’est déroulé le très médiatique procès dit des « Tournantes de Fontenay ». « Tournantes » pour ne pas dire viols en réunion, à répétition.
Les victimes sont deux jeunes filles. Deux dont le nom est modifié, invisibilisé, oublié.
Deux filles qui ont subi des viols, dans les caves et les airs de jeux.
Deux filles qui ont été violées pendant deux ans, par quinze hommes, parfois mineurs, devenus bons pères de famille. Ou qui ont fui.
Deux filles qui avaient 15 ans.

Le procès a lieu 15 ans plus tard. Il perpétue la souffrance, l’incompréhension, la mise à
mort. L’injustice.

Chaque matin, Perrine Le Querrec s’est assise à sa table et a écrit ces mots, comme une litanie : « C’est tout noir et marche devant seule droite avance en face debout. » Et le reste des mots suivait… Il fallait aller les chercher, les crier, les écrire pour gagner la guerre du silence.

Elle, plurielle et singulière, a une voix, un visage. Celui d’une ado rieuse, paillettes et copines, rêvant au grand amour.
« Mauvais choix les paillettes les rires danser sur le lit. Mauvais choix descendre les escaliers aller dehors parler sourire. Mauvais choix. Fille facile. Taspée des caves. Pute ».
Vendue par son « amoureux », poussée dans l’escalier. Violée, sodomisée battue, humiliée pendant des mois.
« Ils s’engueulent pour savoir qui passera le premier Après ils sont d’accord ».

15 ans. 15 ans à ne pas vivre, ne pas survivre. Cloîtrée, niée.
15 ans, avec le fardeau de 70 kilos supplémentaires à porter tous les jours.
Le poids d’un homme.
« 120 kilos. Oui regardez-les et le jogging mais si tu m’avais vu à 15 ans jolie et fine avec un sourire. Tu sais un sourire bien en face parce qu’il n ‘y a pas encore le mur de la cave »

15 ans de honte. 15 ans à croiser les bourreaux, à vivre dans le même immeuble, à passer devant la cabane de l’aire de jeux pour enfants, la cave.
15 ans d’agonie, de peur.

Et puis le tribunal.
« Depuis 15 ans la mort est là. C’est son grand jour ».

Perrine-Le-Querrec
Crédits photo : Fondation Jan Michalski
Perrine Le Querrec dit l’intime au plus profond, dans une langue à la poésie brute, mais seule capable d’incarner le ton juste.

Texte sans concession, Le prénom a été modifié prend à la gorge, secoue, happe, remue, tatoue à vif.

Un livre choc, marquant, que l’éditeur nordiste, La Contre Allée, a eu la bonne idée de rééditer !


>> Bio-bibliographie de Perrine Le Querrec