samedi 26 décembre 2020

Inédit n°24

francois-de-corniere
© François de Cornière
sur un de ses spots favoris en 2019.
de François de CORNIÈRE, né en 1950 :

François de Cornière est apparu en poésie à la fin des années 70 et a vraiment explosé, au début des années 80, avec son recueil Tout doit disparaître (1984) publié par Louis Dubost à l'enseigne du dé bleu.
Il fait partie, avec Georges-Louis Godeau et Gabriel Cousin, 
« des poètes » dits « du quotidien » que je continue de lire aujourd'hui avec passion. Toujours aussi attentif aux autres poètes, il m'a envoyé un texte inédit en écho à mon dernier recueil, Trombines, publié chez Gros Textes en mai 2020.
J'avais envie de le partager avec vous.
Dans ce poème, François de Cornière évoque, en fin observateur qu'il est, le bonheur de vivre des surfeurs, au plus près des éléments de la nature et des choses simples.


COMME UNE LIGNE QUI AVANCE

Du haut de la falaise on regardait les surfeurs
petits points sur la mer
et l’immensité de l’eau.

On restait là-haut
et puis on descendait sur la plage
plus à l’abri du vent.

Ils étaient quelques-uns dans l’angle des rochers
comme en famille sur le sable
avec chiens enfants bébés
et leurs planches qu’ils fartaient
leurs combinaisons qui séchaient au soleil.

Il y en avait de très bons
(on les repérait vite)
d’autres qui avaient du mal
(qui débutaient peut-être).

J’aimais les voir tous
quand ils entraient dans la mer
vite à plat ventre sur leur planche
et leurs bras et leurs bras moulinaient
pour aller là-bas.

Une fois les premiers rouleaux passés
ils attendaient la bonne vague
ils se préparaient ils anticipaient
parfois se ravisaient au dernier moment
jusqu’à la suivante.

Enfin ils se lançaient
un genou sur la planche
et ils se levaient.

Ils glissaient
longeaient longeaient la vague
debout avec elle
le plus longtemps possible

comme une ligne qui avance
qui se déroule
qui s’écrit
quelquefois jusqu’au bout

pour le simple plaisir
de recommencer.

François de Cornière, poème inédit, 2020).


Jacques Bonnaffé lit
François de Cornière : au détail proche (4 épisodes) sur France Culture en juin 2019.

mardi 15 décembre 2020

Fabien Drouet en écrivain public

Je-soussigne-de-Fabien-Drouet
Je soussigné
La Boucherie littéraire, coll. Carné poétique
octobre 2020
10 €

À l'heure où j'écris ces lignes, les attestations de sortie, drolatiques formulaires nés de l'imagination fertile et enfiévrée de notre gouvernement, font partie de notre paysage pour quelques heures encore. Sonnez trompettes d'Enrico, demain, dès potron-minet, ce formulaire à la fois orwellien et kafkaïen rejoindra la liste de ce qui est non-essentiel, sacrifié sur l'autel du couvre-feu qui, pour sa part, n'a pas nécessité à s'auto-autoriser quoi que ce soit. 

Comment allons-nous dorénavant nous amuser ?, vous demandez-vous l'œil trouble et la lèvre tremblante, nous qui avions su remplacer les jeux de société sur la table du salon par le remplissage de cases afin de justifier l'achat d'une baguette, une clope au clair de lune, ou la mise en bouteilles du vin reçu en cubi click and collect de nos belles Côtes (du Rhône) ? 

Rassurez-vous, lecteurs dépressifs et nostalgiques, j'ai la réponse et la partage aussitôt avec vous  : précipitez-vous sur le recueil Je soussigné de Fabien Drouet, publié aux éditions La Boucherie littéraire.

Fabien Drouet, poète lyonnais multi-casquettes et talentueux né en 1982, a écrit ses « attestations dérogatoires de sortie » durant le premier confinement, répondant à l'urgence extrême de se trouver une bonne raison pour sortir de chez lui, imaginant les prétextes plus ou moins fallacieux de ses compatriotes en mal d'air frais.

Il en résulte des petites pépites poétiques et drôles : textes parodiques bourrés d'humour, d'énervement, de mauvaise foi et de fausse politesse (surtout à l 'égard de la maréchaussée habilitée au contrôle desdites attestations).

On retrouve bien sûr dans ces textes la mamie de l'auteur, bien connue de ceux qui suivent ses écrits sur Facebook, ainsi que son fils. Et de constater aussi  que ces deux-là sont très utiles à prétextes.

Voyez plutôt, comme dirait une blonde présentatrice de chaîne de TV publique :

Je soussigné Fabien Drouet atteste sur l'honneur descendre en bas de mon immeuble afin de faire un petit foot (juste quelques passes promis juré craché) avec mon fils sauf si on rencontre des gens motivés et qu'on peut faire un 2 contre 2 comme la dernière fois avec les dealers de la place Valmy c'était très sympa. Bon courage dans votre mission.

*

Je soussigné Fabien Drouet atteste sur l'honneur descendre marcher un moment afin de ne pas finir par pousser par inadvertance ma grand-mère et colocataire de 92 ans qui m'agace fortement sa tête heurtant ainsi le coin de la table en verre mamie je l'aime, mais bon ceci m'obligeant de ce fait à découper son corps en morceaux suffisamment petits pour entrer dans le congélateur (...).

*

Au fil des pages, on découvre aussi des personnages hauts en couleur : le Père Morel, sorti pour vérifier le temps de travail des agents de nettoyage de son quartier ; Raphaëlle, dénonçant « les enfants vecteurs principaux du virus jusqu'au 10 mai inclus »; Rita partie acheter de la drogue pour sa fille ou encore Bertrand et ses bons plans 2+1 offert en grande surface, égrainant, chacun, leurs piètres prétextes comme leurs obsessions.

Hilarant !

Il me faut ajouter que ce petit carnet est très pratique : 20 pages sont laissées blanches afin que vous puissiez vous y épancher à votre tour, si le cœur vous en dit.

On peut écouter Fabien Drouet lire quelques-uns de ses textes ici.

Autre publication :
Sortir d'ici (7€) publié en juin dernier aux éditions les étaques, éditeur lillois apparu en 2019.

samedi 5 décembre 2020

Orianne Papin, le sable délicat des mots

Orianne-Papin-poesie
Orianne Papin, une voix nouvelle à suivre...
Orianne Papin, née en 1983 et vivant à Fontainebleau, entre en poésie avec ce petit recueil de 20 textes, Poste restante, l’air de rien.
C’est une plaquette timide, mais forte, coéditée par la revue Décharge et les éditions Gros Textes.

Est-ce le récit d'une rencontre passionnée ? D'un amour de bord de mer fantasmé ?
Du premier amour qui continue de frémir parfois sous la poitrine et la peau ? Peu importe.

La magie opère et le lecteur, lui-même, s'abandonne volontiers à ces poèmes-confidences, en rêvant, entre les mots, à « cet été salé de confiture », et à  l'évocation - sous forme d'une correspondance (fictive ou non) - de cet amour pur, insouciant, rayonnant, « aux mains d'enfance »« au nombril heureux » qui s'éloigne, presque malgré soi, « quand on a ficelé les mots », et que le corps du vent est venu, peu à peu, prendre toute la place...

On goûte ces poèmes aux réminiscences heureuses, aux « joies océaniques », où la tendresse et le désir dessinaient une île (insatiable) que seule la poésie recompose aujourd'hui.

On sait depuis René Char que « le poème est l'amour réalisé du désir demeuré désir. »

Orianne Papin parvient à recréer cet éblouissement-là, aussi, dans ses textes.

Souvent, avec simplicité, et dans sa force de suggestion à approcher l’indicible, sa poésie va encore plus loin :

orianne-papin-poste-restante
Les gens
qui pleurent souvent
ont les cheveux
qui sentent la mer

(...)

Hier encore
tu n'existais pas
tes épaules me regardent
ton odeur me respire
ta bouche me rassemble

(...)

Cette poésie me rappelle celle, sensuelle et légère, d’Amandine Marembert (1), lorsque je l'ai découverte au milieu des années 2000. J'y ai retrouvé la même fraîcheur et la même capacité à écrire l'amour qui se rêve, se fait, se vit passionnément, et à nous émouvoir surtout avec, ici, une économie de moyens et une exacte pudeur.

C’est aussi une poésie de la délicatesse, de l’effacement, à l'écriture ténue et pointilliste.

L'auteure a su, en effet, planter parcimonieusement quelques éléments du décor : la mer et ses chemins côtiers, le sable à marée haute, les corps heureux qui sautent dans les vagues, les rochers tièdes, le sel marin, le vent, la chaleur des soirs d'été, 
« où parfois même les bruyères fondent » pour peindre un climat de bord de mer facilement identifiable, et transposable en chacun de nous.

Orianne Papin, voix nouvelle de la poésie, nous propose un beau premier recueil poignant et réussi. Sans appuyer sur la mélancolie, ce livre nous invite à « vivre plus fort sur la pointe des pieds », sans éteindre en nous le bonheur de cette lecture. Délicate surtout comme les petits pas d’un oiseau qui sautillerait sur le sable, après l'éclaircie.

Commander le recueil : Poste restante d'Orianne Papin, coédition Décharge/Gros Textes, coll. Polder n°185, 2020, 6 €.

Le site d'Orianne Papin

(1) Quelque titres significatifs d'Amandine Marembert  :  Elle(s) si tant et que (2006) ; Il pleut dans la chambre cette nuit (2006) ; Mon cœur coupé au sécateur (Prix des Trouvères des lycéens, 2009) ; Toboggans des maisons (2009), Les cerises ne sont pas des lèvres (2014)...

jeudi 3 décembre 2020

Brautigan, direct en ligne droite

judith-masson
J’accueille sur ce blog une amie de longue date.
Je l’ai rencontrée en 2002 lors de la préparation d’un concours de bibliothèque sans jamais perdre le contact.
Bibliothécaire dans le Nord, Judith Masson virevolte aussi dans les concerts punk-rock et l’assume : « J'aime l'énergie et la concision du punk : one two three four, et c'est parti ! », quand elle n’écume pas les rencontres littéraires en région...
Judith lit sans doute beaucoup plus que moi les autres genres que la poésie. Et pourtant sa dernière chronique poétique m’a bien plu. Alors je me suis dit que cet autre regard féminin avait tout à fait sa place dans les chroniques du 
« Feu central ».

Merci au Castor Astral pour cette anthologie, C'est tout ce que j'ai à déclarer, excellente édition de l'intégrale (ou presque) des poèmes de Brautigan, version bilingue, s'il vous plaît. 

De Brautigan, j'avais lu jusqu'ici Un privé à Babylone, La pêche à la truite en Amérique et Tokyo-Montana Express. C'est déjà ça me direz-vous. Et en plus, j'avais beaucoup aimé. 

Cette fois-ci, c'est avec avidité que je me suis plongée dans les 750 pages de cette anthologie fantastique, qui reprend les poèmes de cet amoureux des femmes et de leurs cheveux, du Grateful Dead, d'Emily Dickinson et du Japon, et qui partagea sa vie entre San Francisco et le Montana. 

La poésie de Brautigan est drôle, émouvante, parfois triste, parfois oulipienne, et a toujours la puissance de dire en quelques mots l'essentiel, avec une efficacité et une inventivité redoutables. 

Brautigan ne passe pas par les chemins de traverse : c'est directement en ligne droite vers la substantifique moelle des sentiments qu'il se dirige.

Grandiose ! 

« J'ai observé dans un café un homme qui pliait une tranche de pain comme s'il pliait un certificat de naissance ou regardait la photographie d'une maîtresse morte. »

Judith Masson

En complément, le témoignage du journaliste Raphaël Sorin sur sa brève rencontre avec Richard Brautigan en décembre 1983 à Paris, huit mois avant sa mort.

jeudi 5 novembre 2020

Boris Vian (1920-1959), t'as tout dans la peau !


Cher Boris,

boris-vian
Boris Vian jouant d'un drôle
de cor de chasse, Cité Véron.
Tu aurais eu 100 ans cette année. L’an dernier, pour les 60 ans de ta mort, avec ma collègue brune et sexy préférée, nous avions rédigé un article sur ta pomme : « Boris Vian, éternellement actuel ». Je n’y retrancherais rien. 

Depuis plus de trente ans que je t’ai découvert,
je trouve que ta fantaisie, ta provocation et ta poésie n’ont pas du tout vieilli. Et ça, c’est fort, très fort même, quand on voit avec quelle vitesse on écrit des poèmes aujourd’hui, et surtout avec quelle célérité la plupart d’entre eux s’effacent aussi vite de nos mémoires, et de nos tripes.


Par contre, tes textes, eux, me font toujours le même effet – que veux-tu – quand je me replonge à nouveau dans les poèmes tendres, merveilleux et fatalistes de
Je voudrais pas crever du long volume vert édité par Jean-Jacques Pauvert en 1962, que mon père m’a confié en 1991… et qu’il avait lui-même acheté à 22 ou 23 ans.

À 15 ans, j’ai été moins marqué que d’autres par L’Écume des jours ; sans doute n’étais-je pas assez mûr à l’époque et, peut-être, aussi, la faucheuse n’avait-elle pas encore assez malmené ma vie ensoleillée et rageuse, comme la déception amoureuse, d’ailleurs, pour que je mesure à mon tour toute la force émouvante et vibratile de ce roman poétique si singulier.

Quelques années plus tard, je l’ai redécouvert, et j’ai été ému par Colin - ce jeune homme rêveur, doux, désemparé, contraint de surveiller des fusils au bout desquels ne pousseront que des roses blanches, pendant que sa jolie compagne meurt en souriant, malgré ce « nénuphar » qui l’étouffe, et leur maison « symbole de leur bonheur familier » qui rétrécit, elle aussi, de jour en jour - bouleversé encore par Chick, l’ami immature de Colin, fétichiste-bibliophile délicat, qui meurt en défendant ses livres reliés de Jean-Sol Partre, face à l’aveuglante et stupide brutalité policière. Comme ton roman reste encore aujourd’hui d’une confondante actualité !

Vian-livres
Quand, à 18-19 ans, j’ai acheté J’irai cracher sur vos tombes. Ce livre-là, lui, m’a définitivement soufflé. Je me revois dans ma petite chambre de village refermer le livre sur une dernière suffocation. Boxeur groggy par l’impact et la virulence de ce roman, pastiche d’un roman noir américain écrit sous le pseudonyme de « Vernon Sullivan » en août 1946, en un mois seulement. Quel tour de force !

Ton roman devint aussitôt un best-seller avant d’être ensuite condamné pour outrage aux mœurs. Depuis, il a fait bonne figure parmi toutes tes autres productions littéraires chez Christian Bourgois dans la collection 10/18 et, aujourd’hui, tu plastronnes même en livres de poche (et dans la collection La Pléiade depuis septembre 2010 ) !

Il y a, dans ce roman noir sulfureux, un chapitre terrible, au réalisme cru, où les deux principaux protagonistes de l’histoire, Dexter, jeune blanc raciste de la haute société américaine et son ami, Lee Anderson (libraire métis), se rendent, avinés, dans un quartier très pauvre pour abuser de deux jeunes filles prostituées par une grosse négresse. Lee Anderson se trouvera dans l’obligation d’accompagner son « camarade » pour accomplir leurs horribles méfaits. Sinon la vengeance qu’il ourdit à l’encontre du racisme des Blancs risque d’être déjouée par l’immoral Dexter.
C’est un polar extrêmement efficace, tendu, violent, captivant, mené tambour battant d’une main de maître.

Mais ce sont peut-être davantage tes autres livres, 
cher Boris, moins connus, qui m’ont séduit : L’Arrache-Cœur que je trouvais plus puissant, poétique, pessimiste, visionnaire, Et on tuera tous les affreux, ton 3e polar « Sullivan » qui me semblait plus original et hilarant, et tes livres de nouvelles aussi, absurdes et farfelus, où il y a des bijoux comme « Le plombier » ou « Le voyage à Khonostrov » dans Les Fourmis ou « L’amour est aveugle » dans Le Loup-garou et autres nouvelles

cantilenes-en-gelee-edition-originale
Pendant quelques décennies, j’ai tâché de dénicher ton petit recueil de poésie qu’avait eu la chance de publier René Rougerie en 1949 : Cantilènes en gelée, illustré par Christiane Alanore, avant de m’apercevoir qu’il était devenu assez introuvable, et enfin totalement hors de prix !

Boris, tu fus aussi l’ami de Raymond Queneau, Jean Paul-Sartre, Juliette Gréco et de Jacques  Prévert. Quelle chance ! Quel pied ! tu as eu, là, « Bison Ravi » !

Enfin, tu fus l’auteur-compositeur-interprète (brillant mais piteux) de tes propres chansons au Cabaret parisien des Trois-Baudets où tu seras encore, sans le savoir, à l’origine de la vocation de Serge Gainsbourg, qui ira même t’y écouter plusieurs soirs d’affilée…

Le 12 novembre 1958, tu soutiendras même, à ton tour, dans un article enthousiaste et clairvoyant du Canard enchaîné le premier album de Serge Gainsbourg : Du chant à la une !

Ton génie était très précurseur et ton génie, en plus, avait du flair !

Salut Boris, j'espère que ça gaze aussi pour toi, tu vois, je t'ai toujours dans la peau !

vendredi 16 octobre 2020

Richard Brautigan (1935-1984)


Loading Mercury with a Pitchwork 

Loading Mercury with a Pitchwork 
Your truck is almost full. The neighbors 
take a certain pride in you. They stand
             around watching. 


Tu charges du mercure à la fourche


Tu charges du mercure à la fourche 
ton camion est presque plein. Les voisins 
sont assez fiers de toi. Ils sont debout 
            tout autour et regardent. 

richard-brautigan-poesies-completes

Poème extrait de
Richard Brautigan, C’est tout ce que j’ai à déclarer : Œuvre poétique complète : édition bilingue, Le Castor Astral, coll. Poésie, 2016, 32 Euros.

mercredi 7 octobre 2020

Je me souviens #10

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En août 1986 ou 1987, je découvre le golf de manière peu orthodoxe. Dans le Lot-et-Garonne, près des tennis du Camping municipal de Coulon. Le fils du médecin du village a apporté dans son sac quelques clubs de golf, un tea et une balle. Devant nous, la longue étendue d’un terrain de rugby à l’herbe rase. Malgré ses conseils, les tentatives de notre petite troupe de vacanciers et de locaux sont peu concluantes. Dans le groupe, une force de la nature se tient quelque peu en retrait. Dès qu’il frappe la balle, son swing est presque parfait. Catapultée à vive allure, la balle ne tarde pas à s’élever très haut et très loin dans les airs avant d’atterrir au-delà du grillage de la piscine municipale, dans le grand bassin au milieu des baigneurs. Penauds et hilares, nous nous approchons du grillage pour réclamer le précieux projectile à une nageuse hébétée qui n’en croit pas ses yeux. Sur leurs serviettes alentour, les adultes nous dévisagent, avant de nous voir nous éloigner, en pouffant de rire, le cœur au bord des lèvres. (Golf aquatique)

jeudi 24 septembre 2020

Scène d’avant le confinement

Le week-end dernier
(dans le métro)
je me suis retrouvé face
à un psychotique
dès que j’ai croisé son regard
j’ai baissé la tête
en restant sur mes gardes
quand il est descendu
trois stations plus loin
j’ai vu ses pieds s’avancer vers moi
puis il m’a bousculé violemment
avant de descendre du métro
ce soir
(à nouveau) dans le métro
Un type au regard vague
s’adresse à moi :
je ne sais pas ce qu’elle m’a donné
cette copine comme cannabis
mais elle aurait pas dû
me faire ça à moi
ce n’était pas du cannabis en plus
c’était autre chose
elle aurait pas dû
me faire ça à moi
J’étais riche moi avant
vous savez
j’ai connu la richesse
Hé ouais
c’est plus profond qu’on pense
ce que j’dis
il faudrait m’écouter
(il hurle)
(les gens quittent le compartiment)
Hé, Monsieur, j’ai le diable en moi
vous savez
(il dit)
en triturant frénétiquement quelque chose
au fond de la poche de son blouson

avant de descendre juste après.

J’vous ai fait peur, hein, Monsieur ?

Bonsoir Monsieur !

dimanche 20 septembre 2020

La patience des buffles sous la pluie de David Thomas

david-thomas-la-patience-des-buffles
Le livre de Poche, n°31716, 2011
7,20 Euros

Né en 1966, David Thomas est un ancien journaliste qui se consacre aujourd'hui à l'écriture. Il excelle dans l'art de la micro nouvelle. Des textes directs, acides, sans concession, sur le monde et sur lui-même.
En le découvrant l'an dernier, j'ai tout de suite songé aux premières nouvelles du même acabit de Jean-Paul Dubois : Parfois je ris tout seul ou Vous aurez de mes nouvelles. Pas étonnant qu'il ait signé la préface de son premier livre !

16 224 minutes

    Trois fois par semaine je vais prendre ma femme dans le centre-ville en rentrant du boulot. Elle sort plus tôt que moi et elle en profite toujours pour voir ses copines ou faire des courses.
Ma femme n'est jamais arrivée une seule fois à l'heure à ces rendez-vous. À chaque fois, elle me fait poireauter entre dix et quinze minutes. J'ai fait le calcul, depuis que nous sommes ensemble, j'ai attendu ma femme 16 224 minutes. Un soir je suis arrivé au rendez-vous pile à l'heure, comme à mon habitude, et comme c'était à prévoir, elle n'était pas là. Alors, je suis parti. Je suis rentré onze jours, six heures et vingt-quatre minutes plus tard. On est quittes.

lundi 14 septembre 2020

48 ans et 362 jours

route
Je suis sorti à vélo
sous le grand ciel bleu
près des champs de blé
j’étais en paix
pour la premier fois depuis
longtemps avec moi-même
je me suis rendu à la poste
qui était fermée
ou plutôt jamais ouverte
aux heures où je pourrais la fréquenter
et alors rien de grave
je suis rentré chez moi
par la même petite route
ensoleillée qui descend vers chez moi
(et non pas vers la mer)
j’habite entre la rue Jacques Prévert
la rue du cimetière
et la rue Pierre de Ronsard
ça pourrait être pire pour un poète
ça pourrait être mieux aussi
j’ai volé dix minutes à mon travail alimentaire
j’ai l’impression surtout d’avoir repris possession
de ma vie
l’impression de renaître aussi
à quelque chose de pur
à quelque chose de vrai
d’immaculé
de pas pollué de pas corrompu
de pas compromis
je perds ma vie à la gagner bien sûr
mais aujourd’hui c’est moi qui ai gagné.

lundi 7 septembre 2020

Pierre Tilman né en 1944

pierre-tilman-2018

(© Photo F-X Farine - octobre 2018)


LE PRIX DES LOYERS

à la question
c'est quoi le réel ?
plusieurs amis m'ont répondu
le prix des loyers dans
la région parisienne
je vous le dis mes frères
il faut s'accrocher
pour être poète

Extrait de Le Choix des couleurs, La rumeur libre éd., 2017, 19 €.

samedi 29 août 2020

Jean-Jacques Nuel, l'art de l'autodérision

Jean-Jacques Nuel
La première fois que j’ai croisé le poète Jean-Jacques Nuel, en 2018, au Marché de la Poésie de Paris, avec son cartable, il m’a fait songer à un représentant de commerce mais les apparences sont souvent trompeuses… c’était un type tout à fait sympathique, discret, attentif aux autres, et qu’il écoutait, toujours, l’air amusé.

Si je n’ai pas parlé de ses livres plus tôt, je le regrette. C’est une faute inexcusable. J’avais pourtant particulièrement aimé son Journal d’un mégalo (2018), paru aux éditions belges du Cactus Inébranlable, dans lequel l’auteur se révèle être un aphoriste fin et hors-pair.

En plus, peu de ses aphorismes tombent à plat, et c’est souvent très drôle ! Beaucoup de thèmes rafraîchissants y sont abordés : naissance, Dieu, œuvre littéraire, célébrité, sex-appeal, rapports à l’ego et aux autres, sexualité, temps qui passe, mort…

J’en ai sélectionné quelques-uns, pour que vous succombiez à votre tour à sa mégalomanie galopante :

On dit de moi que j’étais la huitième merveille du monde ; mais je pense plutôt être la première.

                                   *

Pour faire simple, disons que ma naissance a coupé l’histoire de l’humanité en deux parties.

                                   *

Mon livre est un chef-d’œuvre. La seule petite faiblesse est à mon avis le code-barres, mais je n’en suis pas l’auteur.

                                   *

Comme ses affaires marchent moins bien, mon éditeur a dû me laisser sa Ferrari comme à-valoir.

                                   *

Le réchauffement de la planète est peut-être dû à mon activité cérébrale.

                                   *

DÉFENSE D'AFFICHER sur mes affiches.

                                   *

À quoi servent les vingt-trois fuseaux horaires où je ne suis pas ?

                                   *

Un jour par an, je dois subir la concurrence de la journée de la femme.

                                   *

Si je dois me réincarner, que ce soit à l’identique.

                                   *

jean-jacques-nuel-journal-d-un-megalo
Je me ferai enterrer avec mes bijoux et mes biens les plus précieux, pour être sûr d’avoir encore de la visite.

                                   *

Offrez-vous ou faites-vous offrir le Journal d’un mégalo de Jean-Jacques Nuel, c’est un petit bijou d’autodérision qu’on peut lire et relire, en se regardant le nombril. J’avoue que c’est assez agréable.

Et si vous n’êtes pas tout à fait rassasié, tant mieux, le bougre vient de publier la suite de son Journal, deux ans après, le titre est déjà prometteur : Chasser le mégalo, il revient à vélo.

>> Les deux livres sur le site du Cactus Inébranlable

mardi 14 juillet 2020

Corps en mouvement « Poésie et Sport » 53 poètes - Bacchanales n°57, octobre 2017


LES LARMES DE ROCHETEAU

À la lente agonie du monde
l’Amérique qui offre des fusils d’assaut
à ses enfants
l’exil d’une vedette du show-biz sur lequel
tout le monde s’apitoie ou condamne
aux déclarations guerrières d’un Président
fier dans ses bottes
dans son nouveau costume de va-t-en-guerre
à la révolution
d’une tempête de neige qui, seule,
semble secouer le pays
depuis deux décennies
j’ai préféré les larmes
de Dominique Rocheteau
dans les vestiaires de Geoffroy-Guichard
à la fin du match
Saint-Étienne-Lille
l’idole de ma jeunesse
l’Ange vert
était ému comme un gamin
parce que son club
venait de se qualifier
trente-et-un ans plus tard
pour la finale
de la Coupe de la Ligue
J’ai préféré ça, oui !
les larmes sensibles
et sans fard
de ce gentil héros d’hier
redevenu tout à coup
cet homme bouleversé
par ses propres larmes
et la liesse des supporters
qui envahirent le terrain
juste après
dans la joie spontanée de l’instant
devant des policiers
eux-mêmes désarmés
et médusés
je me suis senti tout à coup
réconcilié
avec l'Homme de la rue
dont on a souvent essayé
de me soustraire à la troublante effigie.

© Inédit.

vendredi 10 juillet 2020

Christophe Esnault, l'iconoclaste

poete-ne-christophe-esnault
Poète né
Conspiration Éditions. - (C/ n°13), 2020
14 €

Christophe Esnault est un poète talentueux et très productif.
Ce qui ne va pas toujours de pair. On avait déjà salué deux de ses précédents recueils aux éditions Les Doigts dans la prose : Isabelle à m’en disloquer (2011) et Correspondance avec l’ennemi (2015). Il pratique volontiers l’humour noir, vachard, avec beaucoup de drôlerie et d’autodérision. Depuis ses débuts, cet iconoclaste ne respecte à peu près rien.
Cette fois, dans « une fiction fragmentée, un brin obscène », il se met en scène (de manière parodique) pour moquer les excès, les travers et les ratés de la condition du poète contemporain prêt à tout pour parvenir à ses fins et conquérir une large audience, écornant, au passage, la gloire frelatée des réseaux sociaux.

Poète ou non, vous ne pourrez passer à côté de la drôlerie subversive et implacable de Poète né de Christophe Esnault.

> Acheter le recueil sur le site de Conspiration Éditions

jeudi 2 juillet 2020

Heptanes Fraxion peut bomber le torse

heptanes-fraxion-errer-me-muscle
errer me muscle

Gros Textes éd., juin 2020
8 €
Heptanes Fraxion est un poète tout à fait original. Une des révélations de ces dernières années. C’est pourquoi nous l’avions invité en compagnie de Pierre Tilman, en 2018, pour la 5e édition des lectures-rencontres poétiques de la Médiathèque départementale du Nord. Il vient de la culture underground, est fana de littérature désaxée, de musique et de cinéma, de foot aussi. « Sa poésie est le panier d’un cleptomane, on en sort de tout » pour reprendre le mot d’un critique averti. Dans ses textes, il y a aussi une musique des mots particulière, un flow où le désespoir et la rage qui ferraillent sont sauvés par l’humour, et des images à couper le souffle.
Poésie trash, mais poésie de plein fouet, de « perdant » magnifique. Bukowski a enfin trouvé un fils ensoleillé à sa mesure.

> Acheter le recueil sur le site des éditions Gros Textes

vendredi 5 juin 2020

Jean-Pierre Georges né en 1949


« Elle publie un livre : à la télé, on ne voit que ses jambes, quelles belles jambes lui font ce livre ! »

*

« J’envie les antipathiques, on ne les emmerde pas ; je n’ai jamais su l’être au point d’assurer ma tranquillité. »

*

« Il prenait ses grands airs de petite fourmi supérieure. »

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« Se lever tôt pour s’ennuyer plus. »

*

Extrait de Jamais mieux, Tarabuste éd., 2016.


Jean-Pierre-Georges


© Photo de l’auteur sur le site Les moments littéraires

jeudi 14 mai 2020

Khalil Gibran (1883-1931)


« La tristesse n'est qu'un mur entre deux jardins. »

Khalil Gibran, Le sable et l'écume : et autres poèmes, Points, Coll. Points Poésie n°2032, 7,30 €

khalil-gibran



samedi 4 avril 2020

Saint-Pol-Roux, le Magnifique (1861-1940)

saint-pol-roux
Saint-Pol-Roux est un poète injustement oublié. Même s’il disait, parfois, à ses familiers qu’« il avait fui les Hommes pour mieux se rapprocher de l’Humanité. » Même s’il fut également estimé par le passé par de nombreux écrivains comme Victor Segalen, Paul Valéry, Apollinaire, Max Jacob, Joseph Delteil, René-Guy Cadou ou Loys Masson, et même les surréalistes qui le réhabilitèrent, en 1925, dans un hommage collectif signé par Breton, Desnos, Vitrac, Leiris, Aragon et Jacques Baron dans Les Nouvelles Littéraires, puis l'honorèrent lors d’un célèbre banquet qui fit date, puisqu’il se solda par une solide castagne… que le poète quitta à la hâte.
Je n’insisterai pas sur le martyrologe qu’ont subi le poète et ses proches, dans la nuit du 23 juin 1940, et qui a certainement précipité sa fin… Mais je salue aujourd’hui la belle initiative de Bruno Geneste et Paul Sanda qui viennent de consacrer un essai à « Saint-Pol-Roux, le Magnifique ». L’ouvrage a été chroniqué par Alain Roussel dans le dernier numéro de l’excellente revue Europe n°1092 d'avril 2020. Ce dernier m’a permis de reproduire sa note de lecture sur ce blog. Je l’en remercie chaleureusement.



geneste-sanda-saint-pol-roux
Bruno GENESTE et Paul SANDA : Saint-Pol-Roux, Le cosmographe des Confins
Rafael de Surtis / Éditinter
25 Euros


Il y a des poètes qui choisissent de rester à l’écart pour mieux prendre leur élan hors du siècle où ils vivent. Indifférents aux modes littéraires, ils inventent leur propre chemin et avancent pas à pas dans des contrées rarement explorées par leurs contemporains. Saint-Pol-Roux, qui vécut à cheval sur deux siècles (1861-1940), fut l’un de ceux-là. S’il fut proche, à ses débuts, du mouvement symboliste, s’il ne renia jamais son admiration pour Verlaine, Rimbaud, Mallarmé et Villiers de l’Isle-Adam, sa propre voix le porta ailleurs et en fit un précurseur du Surréalisme, revendiqué par André Breton, admiré de Victor Segalen et de quelques autres. Loin « des faiseurs d’ignominie » de la critique parisienne, il séjournera dans les Ardennes où il parachève La Dame à la Faulx, avant de s’installer, comme guidé par des intersignes, en Bretagne, d’abord à Roscanvel, puis sur les hauteurs de Camaret où il fera construire son manoir avec lequel désormais il ne fera qu’un : « Le Manoir, c’est moi ! »

Saint-Pol-Roux fut l’un de ces « solitaires qui gardent l’équilibre du monde ». Il se faisait une très haute idée de la poésie. « Le renouvellement intégral ou partie de la face du monde caractérise l’œuvre du poète : par la forme, il s’affirme démiurge et davantage, car par la ciselure dont le revêt l’or sublime, le poète corrige Dieu », écrivait-il. Il a cherché à incarner durant toute sa vie « l’entière humanité en un seul homme », à « rassembler la pluralité des personnages en un seul individu », dans une démarche inverse, mais complémentaire – la comparaison est éclairante –, de celle de Pessoa qui préféra inventer des hétéronymes pour vivre plus intensément plusieurs personnalités. Il fut un inventeur génial de métaphores qu’il poussa jusqu’au baroque, mais il s’intéressa aussi à la science, réunissant ainsi l’imaginaire et le réel.

S’il y a une actualité de l’œuvre de Saint-Pol-Roux, elle se situe, comme elle le fut de son temps, en dehors de toute actualité immédiate pour nous parler au plus profond, murmurer à l’oreille la plus intime de notre être. C’est une voix secrète qui continue de résonner dans l’ombre grâce à la publication de ses écrits (Rougerie, Gallimard), des anthologies (Alain Jouffroy au Mercure de France), l’important travail de la Société des amis de Saint-Pol-Roux et, assez récemment, cet essai de Bruno Geneste et Paul Sanda : Saint-Pol-Roux, Le Cosmographe des Confins, avec une superbe préface de Jacques Goorma qui fit tant pour faire connaître l’œuvre du poète. Ce dernier livre, agrémenté de précieuses photos et documents, nous fait voyager dans les écrits de Saint-Pol-Roux, dressant le portrait inclassable de l’homme qu’il fut, un esprit solaire s’épanouissant dans les brumes et les paysages tourmentés du Finistère, dans la grande alliance de la terre et de la mer, du Verbe et de la Lumière. Toutes les contradictions, il les résout au creuset de son être, et Geneste et Sanda insistent sur la profonde unité de l’œuvre qui met en harmonie les sens, l’émotion et la pensée. Ils font du poète un héritier « des connaissances millénaires druidiques », à mi-chemin entre le barde et le mage. Situé à proximité des alignements mégalithiques de Lagatjar, il apparaît que le lieu où fut construit le manoir du Boultous n’a pas été choisi au hasard. « De cette confrontation avec l’élémentaire s’élabore une poétique, s’érige une théorie sur le verbe selon laquelle la poésie doit faire surgir un monde renouvelé, pour Saint-Pol-Roux cela peut s’appeler Idéoréalisme ou encore Répoétique », écrivent les auteurs. Ce que le poète est venu chercher ici, en cet endroit magnétique, c’est « la vérité du monde », faisant ainsi écho à Rimbaud qui, lui, a échoué et écrivait à la fin d’une Saison en Enfer : « il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » Spiritualiser la matière et matérialiser l’idée, associer la splendeur du vrai (Platon) à la beauté qui rend l’idée visible (Plotin), tel est la vocation poétique de Saint-Pol-Roux.

Au manoir du Boultous, face à l’océan, la poésie échappe aux livres. Bruno Geneste et Paul Sanda n’ont pas manqué de souligner la profonde attirance de Saint-Pol-Roux pour l’infini en sous-titrant leur essai : Le Cosmographe des Confins. Ils écrivent : « Le guetteur d’infini fut à la proue même de cette péninsule le dernier barde des extensions solaires, semant les intersignes de son propre destin sous l’ombre d’un destin sans fin. » En évoquant le « nomadisme poétique » du « Magnifique », ils sont devenus eux-mêmes des voyageurs itinérants à travers l’œuvre, « empruntant des sinuosités littéraires et magiques, une spiritualité discrète depuis le monde celtique original. »

Ce livre est un bel hommage à Saint-Pol-Roux, ce grand poète qui fut aussi dramaturge et qui aimait dans le théâtre surtout la tragédie. Celle-ci vint le rattraper dans la vie réelle de la plus horrible façon. Un soir du 23 juin 1940, un soldat allemand ivre faisait irruption au manoir, tuant la servante et blessant gravement le poète et sa fille, Divine. Ce terrible événement fut suivi d’un second drame : revenant en octobre à son manoir, celui-ci avait été pillé pendant son absence, ses manuscrits brûlés, anéantissant trente années de travail. Il n’y survécut pas.


Alain ROUSSEL, article paru dans la revue Europe n°1092 - avril 2020.

Commander l'ouvrage aux éditions Rafael de Surtis.

Alain Roussel :

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Alain Roussel est né en 1948 à Boulogne-sur-Mer. Il s’est intéressé très tôt à l’ésotérisme, dont l’alchimie et la cabale phonétique, et aux spiritualités orientales. Mais c’est la poésie, qu’il découvrit par la lecture, à l’âge de dix-huit ans, de Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire, Breton, Desnos, Péret, Aragon, Artaud, Michaux..., qui l’incitera à écrire. Il a publié une trentaine de livres ou plaquettes, notamment chez Plasma (Drachline), Lettres Vives, Cadex, Apogée, La Différence, Maurice Nadeau et publie régulièrement des notes de lecture dans En attendant Nadeau, la revue Europe, le site de Pierre Campion et sur son blog, Passager clandestin de la pensée.

Dernières publications :
La Vie secrète des mots et des choses, éd. Maurice Nadeau, juin 2019.
La phrase errante (avec des dessins de Sandra Sanseverino), éd. le Réalgar, 2017.
Un soupçon de présence, éd. Le Cadran ligné, 2015.
Le boudoir de la langue (avec des dessins de Georges-Henri Morin), 2015.

Le Labyrinthe du Singe, éd. Apogée, 2015.

Ésotérisme et Lexicographie avec le poète Alain Roussel à la radio sur RFI en 2019.




Extrait du film " Saint-Pol-Roux et l'Inconnu " (78 mn, Sélection Printemps des Poètes 2007).

jeudi 2 avril 2020

Boris Vian (1920-1959)


« C’est drôle comme les gens qui se croient instruits éprouvent le besoin de faire chier le monde. »

Boris Vian


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Boris Vian, 2020 (création Sylvie Patte et Tanguy Besset, photos © Paris/akg images (portrait)
et © Vian, impression héliogravure) (© La Poste/ Patte et Besset)

samedi 21 mars 2020

Je me souviens #42

Je me souviens qu'après avoir vu, jeune, à la télévision, un reportage sur Jacques Mesrine, L'ennemi public n°1, mon père me confia que le gangster lui avait un jour téléphoné au journal. Il n'était pas content d'un article qui venait de paraître sur lui et l'avait menacé. Mon père ne s'était pas démonté. Il lui avait rétorqué qu'il n'avait pas à subir de pression de qui que ce soit, et qu'il mettait toujours un point d'honneur à faire en sorte que l'information traitée dans le journal le soit avec le plus d'objectivité possible. Mon père parlait peu de son travail. Pourtant, à chaque fois que j'évoquais telle personnalité ou telle autre devant lui, je m'apercevais qu'il les avait souvent rencontrées. C'est comme ça qu'il me raconta avoir dîné avec l'écrivain Max-Pol Fouchet... et que celui-ci regrettait la disparition du bon goût à la française : « C'est comme tous ces gens qui mettent le camembert au frigidaire ! ».
andre-farine-article-jacques-brel-1967
Il y eut aussi la rencontre du peintre Georges Laporte qui, touché par son article, lui avait offert une huile en guise de remerciement. Idem pour le grand Jacques Brel, dont il couvrit l’un des derniers concerts au Colisée de Roubaix, le 16 mai 1967. Sa visite de l'exposition Mondrian, au bras de Jeanne Moreau (qui lui valut une volée de bois vert de la part de ma mère). L'enterrement de De Gaulle, où il se percha en haut d'un arbre, donnant sur le petit cimetière de Colombey-les-Deux-Églises. Ou encore sa terrible chute à l'arrière d'une mobylette, sur les pavés boueux de Paris-Roubaix, où il déchira son costume en valdinguant dans le fossé, jusqu'à ce que le champion cycliste de l'époque, Henry Anglade, surgisse derrière lui avec son équipe en file indienne, stoppant net et lui disant « Ça va, Monsieur ? ». Et lui de répondre du tac au tac : « Et vous, vous pensez que vous avez une chance de gagner la course demain ? » Une autre fois, il m'avait raconté sa stupéfaction, après s'être rendu chez le collectionneur d'art, Jean Masurel : « Il y avait des tableaux partout, jusque dans sa salle de bain, tout gondolés. Et, en haut d'un grand escalier, une imposante toile de maître du XVIe ou XVIIe siècle avait été lacérée sur toute sa longueur. » Mon père s'en était étonné, ce à quoi le grand industriel lui avait répondu : « Ah ça, ce n'est rien, voyez-vous... Ce sont mes petits-fils qui ont joué avec des épées... »
Dans ma jeunesse, où que je fusse, on s'enthousiasmait toujours de la sorte : « Ah ! Vous êtes le fils d'André Farine, alors ? » (Mon père, ce héros très discret)

(Courts textes en cours, 2011-.... - © François-Xavier Farine.)

dimanche 1 mars 2020

Mars poétique dans le Nord : on va encore frapper fort !

Cette année, dans le cadre du « 22e Printemps des Poètes », la Médiathèque départementale du Nord fait son Mars poétique et organise 4 événements importants.
Ça commencera en fin de la semaine dans le Nord et le Sud du Département où chaque événement, comme d'hab, sera gratuit pour le public.

Les deux premiers :

de-corniere-vinau
> Les 5, 6 et 7 mars 2020 : 6e édition des lectures-rencontres poétiques de la MdN avec François de Cornière et Thomas Vinau :

- Jeudi 5 mars à 16h à la Prison de Douai (non-ouvert au public extérieur)
- Vendredi 6 mars à 19h30 à la Médiathèque départementale du Nord 140 Bis rue Ferdinand Mathias à Hellemmes 

- Samedi 7 mars à 18 h à la médiathèque Louis Aragon de Cuincy 


Réservation conseillée.


Tous les détails de l'événement


samantha-barendson
> Les 6 et 7 mars 2020 : Cabaret poétique avec Samantha Barendson autour du texte « Insomnies » de l'auteure accompagnée par Timothée Couteau au violoncelle.

- Vendredi 6 mars à 18h à la médiathèque de Feignies 
- Samedi 7 mars à 19h à la salle des fêtes de Bavay

Réservation conseillée.

→ Tous les détails de l'événement

lundi 17 février 2020

Brigitte Fontaine née en 1939


brigitte-fontaine
Brigitte Fontaine sur Off-TV lors de la présentation à Saint-Malo
de son dernier disque « J’ai l’honneur d’être » (Universal)

Qu’est-ce qui vous attriste ?

« Ce qui m’attriste surtout, c’est l’acharnement à féminiser ridiculement tous les noms. Écrivaine, par exemple. Si on me traite d’écrivaine, je tue ! Il y a toujours eu des écrivains femmes, et là on dirait que c’est la première fois qu’il y en a, parce qu’on a mis un «e» à la fin… Non mais, c’est ridicule. Je le dis souvent mais je le répète : un écrivain est un écrivain, de même qu’une gazelle est une gazelle, même si elle est du sexe mâle. Alors un écrivain est un écrivain, même fille. »

Extrait de l'interview de Brigitte Fontaine : « SI ON ME TRAITE D’ÉCRIVAINE, JE TUE ! »
Par Marie Klock, extrait de Libération, 26 janvier 2020.




lundi 27 janvier 2020

Maxence Van der Meersch (1907-1951), écrivain du Nord, corps et âme

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Maxence Van der Meersch est né à Roubaix le 4 mai 1907.

Son père Benjamin, négociant en matériaux, fonde avec son frère Georges les Établissements Vandermeersch frères mais leur affaire tourne court ; Benjamin doit se réfugier en Belgique afin d’éviter d’éventuelles poursuites. Le couple que formait Benjamin et son épouse Marguerite Van der Meersch en pâtit : il se sépare.

Marguerite, l’épouse dure et cupide, qui a ouvert un cabaret puis une épicerie, reprend leur fille aînée, Sarah, sous son toit. Le petit Maxence est confié  à la garde de son père, dès son retour à Roubaix, rue de l’Épeule. Pour son fils, Benjamin fera désormais preuve d’une attention sans bornes, s’attachant à faire de lui « un grand homme ».

Le 3 août 1914 : la guerre est déclarée. La tragédie étreint toute l’Europe. Le Nord de la France est envahi.
Pendant l’Occupation, la population roubaisienne souffre de misère et de privations.
Plus tard, Maxence tirera de cette période douloureuse de son enfance toute la substance de
invasion-14-van-der-meersch
son livre Invasion 14. Le critique René Lalou saluera ce « poignant témoignage, cette puissante fresque où l’auteur montre avec une sobre émotion comment le drame collectif a provoqué les tragédies intimes ». Un premier drame personnel ébranlera le jeune Maxence à la fin de la guerre : Sarah Van der Meersch, la sœur aimante, frappée de tuberculose, meurt à 19 ans. Maxence entre en 1920 au lycée Gambetta de Tourcoing. C’est un adolescent brillant quoiqu’indiscipliné. Pierre Jourda, jeune professeur de français, le remarque et lui fait découvrir Zola. Il l’incite même à consigner ses descriptions de paysages et de personnages. Grâce à lui, l’apprenti écrivain est en marche.

En 1925, la firme paternelle a prospéré et s’installe 6 rue Favreuil à Croix.
Maxence obtient son baccalauréat et… une moto qu’il enfourche pour, le cœur aventureux, sillonner la campagne, de la côte dunkerquoise aux Monts des Flandres.

Après avoir entrepris des études de droit et de lettres, il rencontre en 1927 une jeune ouvrière, Thérèze Denis, qui l’émeut. Elle deviendra La Fille pauvre de ses romans, dont il racontera l’enfance et la vie malheureuses dans un triptyque composé de Le Péché du monde (1934), Le Cœur pur (1948) et La Compagne (1955).
Malgré l’opposition farouche de son père, Maxence et Thérèze s’installent dans une petite maison, à Wasquehal, puis au 82 rue de Wasquehal à Mouvaux. Les temps sont durs pour le jeune couple… mais rien n’est assez fort pour contrarier leur union.

À la faculté de Lille, Maxence Van der Meersch se lie d’amitié avec l’artiste Simons. Celui-ci collabore au journal des étudiants dont Van der Meersch est rédacteur en chef.
Licences de droit et de lettres en cours, Maxence songe à devenir avocat ou professeur… tandis que Thérèze continue de travailler à l’usine. Un bonheur éclaire bientôt la vie du couple : leur fille, Sarah, naît le 10 février 1929.

Un romancier populaire et prolifique

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Dans les années 30, une période d’intense écriture occupe Maxence Van der Meersch. Il publie neuf romans : La Maison dans la dune, Car ils ne savent ce qu’ils font..., Quand les sirènes se taisent, Le Péché du monde, Invasion 14, Maria Fille de Flandre, L’Empreinte du dieu, L’Élu et Pêcheurs d’hommes.
Il connait le succès très tôt, dès 1932, avec son roman La Maison dans la dune qui sera ensuite adapté au cinéma.
Maxence n’a que 25 ans. De ses romans, c’est sans doute le plus accessible, le plus épique et aussi le plus haletant. En cette année faste, Maxence Van der Meersch manque également de peu le prix Renaudot avec Quand les sirènes se taisent ; il termine aussi, brillamment, sa licence de Lettres.

«... le Mont-Noir, Anvers, la Hollande, Bruges… autant d’échappées qui vont nourrir l’œuvre et enraciner plus profondément encore l’amour de Maxence pour cette terre du Nord et de Flandre... »

Les voyages et les vacances égaient toutefois cette vie harassante où il faut préserver les périodes de repos nécessaires à l’écrivain : le Mont-Noir, Anvers, la Hollande, Bruges… autant d’échappées qui vont nourrir l’œuvre et enraciner plus profondément encore l’amour de Maxence pour cette terre du Nord et de Flandre qui transpire si fort dans la description de ses paysages.

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En 1934, Maxence s’inscrit au barreau de Lille où il ne plaidera guère. En septembre 1936, le couple, marié depuis deux ans, s’installe Quai des Alliés à Wasquehal.
En 1936, Maxence Van der Meersch, converti au christianisme, reçoit le prix Goncourt pour L’Empreinte du dieu face à Aragon et ses Beaux quartiers. En 1943, grâce à son roman Corps et Âmes, il est également couronné du Prix de l’Académie française. Maxence, heureux, fait alors la une du Journal de Roubaix et du Grand Écho du Nord.

Pour chacun de ses livres, Maxence Van der Meersch amasse de la documentation avant de se lancer à corps perdu dans l’écriture – il le confie lui-même, en 1937, dans un texte intitulé De la sécheresse à l’inspiration –. Mais Maxence Van der Meersch écrit d’abord pour donner la parole aux plus humbles, aux plus pauvres, aux « sans voix » ; également pour défendre les grandes causes comme la résistance active de la population nordiste dans Invasion 14, la fraternité du monde ouvrier dans Quand les sirènes se taisent et Pêcheurs d’hommes… quand il ne s’insurge pas, dès 1945, contre le sort des prostituées dans son essai Femmes à l’encan.
En témoignant la plume au poing, Maxence prend sa revanche, en quelque sorte, sur une santé fragile qui l’empêche de se jeter pleinement dans la bataille. Enfin, dans son œuvre, il s’attache surtout à dépeindre l’Homme. Ne dit-on pas que « ses personnages ont une âme, sont vivants, ils luttent, ils rêvent… » sans perdre jamais leur capacité d’aimer en dépit du destin qui souvent les écrase. C’est peut-être là, vraiment, dans cette vérité et cette proximité avec les petites gens, que Maxence Van der Meersch touche à l’universel.

Des années noires à la reconnaissance officielle

À partir des années 1945-46-47, la tuberculose contractée par Maxence gagne du terrain. Pour l’écrivain, les moments d’enthousiasme alternent de plus en plus avec des périodes de découragement et de profond désespoir. La critique violente par nombre de médecins de son roman Corps et Âmes et la mort de son père, qui fut aussi son agent littéraire, l’affectent durablement.
En 1947, sa biographie consacrée à La Petite Sainte Thérèse déclenche également les foudres de hautes instances religieuses. Maxence perdra beaucoup de forces et d’énergie à s’expliquer, à répondre à ces détracteurs, à défendre ses convictions d’écrivain engagé.

masque-de-chair-van-der-meerschDurant les dernières années de sa vie, Van der Meersch, souffrant, reçoit encore les confidences d’un homosexuel. Il nous laisse un récit poignant : Masque de chair, que son éditeur Albin Michel fera paraître en 1956, à titre posthume. Dernier coup de génie ou chant du cygne ? Le véritable écrivain surprend toujours.

Le 14 janvier 1951, la tuberculose l’emporte dans sa dernière demeure du Touquet appelée La Maison dans la dune. Il est entouré de ses proches, Thérèze, compagne fidèle des bons et des mauvais jours, leur fille Sarah et deux petits garçons adoptés en 1943 et 1949. Depuis lors, Maxence Van der Meersch repose au cimetière de Mouvaux.

En 1934, dans Le Progrès du Nord, l’auteur s’est ainsi expliqué sur l’éthique de son œuvre : « Je voudrais “servir” en ouvrant avec mes moyens d’écrivain des yeux qui s’obstinent à rester fermés devant certaines réalités ; mon rôle, et il est vaste : lancer un appel, de toutes mes forces, à la concorde, à la compréhension mutuelle. Si mes livres doivent demeurer, comme on dit, que ce soit comme des documentaires, des rétrospectives où l’on ira chercher des modes d’expression d’une époque et d’un milieu. C’est là mon idéal. »

Maxence Van der Meersch, contre toutes les polémiques et les turbulences, a tenu son pari. Aujourd’hui, le chemin de sa redécouverte s’ouvre à tous. Le centenaire de sa naissance peut être l’occasion d’une véritable renaissance auprès des jeunes générations.

Rédigé en mai 2007 par François-Xavier Farine pour la bibliographie Maxence Van der Meersch (1907-1951) et la vie ouvrière dans le Nord de 1914 à 1939, à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain.

Consulter la bibliographie complète de la Médiathèque départementale du Nord consacrée à l'écrivain