lundi 29 mars 2021

« Poésie Moteur ! », ça tourne !

poesie-moteur

C’est, depuis 5 ans, un festival belge de poésie qui se densifie avec, aux manettes, le poète Hugo Fontaine et la graphiste Camille Nicolle.

Cette année, 
pour cause de situation sanitaire défraîchie, l'équipe a dû, hélas, se recentrer sur l’envol de poèmes dans les haut-parleurs de la ville de Tournai (en Belgique, non loin du Nord de la France) et l’affichage « sauvage » de poèmes courts dans les artères de la ville, tandis que des lectures-performances étaient aussi initialement programmées.

Je vous invite à visionner l'excellent reportage sur ce festival qui fête, déjà, sa 5e édition.

On salue évidemment cette belle énergie et ce nouvel enthousiasme transfrontalier !

Le site du Festival « Poésie Moteur ! », avec les archives des éditions précédentes.
La Page Facebook.


P.S. : J'en profite pour remercier, au passage, Hugo Fontaine d'être venu assister en voisin et, en toute discrétion, à la lecture trio que j'avais organisée dans un bistrot de Lille avec Jean Marc Flahaut et Simon Allonneau en décembre 2019.

vendredi 19 mars 2021

Thomas Vinau : le cœur pur du barbare

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Le Castor Astral, Poésie, collection Poche
Février 2021
9 Euros

C’est la confirmation-consécration pour Thomas Vinau. Je n’en doutais pas une seule seconde depuis que j’ai rencontré son écriture en 2009. J’allais dire enfin. Les poètes de sa génération en étaient à peu près toutes et tous convaincus.
Il n’était pas besoin que les magazines littéraires nous l’apprennent mais, pour le marteler au plus grand nombre, c’est beaucoup mieux et nécessaire pour exister vraiment en poésie !

« Sa poésie est absolument essentielle, surprenante, imprévisible, inattendue. » Le Figaro

« Thomas Vinau est devenu une référence dans ce qu’on pourrait appeler une poésie « du réel », simple et accessible. » Lire / Le Magazine littéraire

Je revois Thomas à ses débuts : discret, un poil sauvageon, l’œil aux aguets, mais attentionné et attentif aux autres, « un barbare au cœur pur » comme il l’écrit lui-même avec surtout ce besoin d’écriture chevillé au cœur et aux tripes… qu’il distillait d’ailleurs chaque jour sur plusieurs blogs. Il transpirait déjà la poésie par tous les pores de sa peau. Deux grands aînés lui avaient alors tendu la main, décelant déjà ce que promettait la plume du jeune poète : Pierre Autin-Grenier et Jean-Claude Pirotte.
Des petits et microéditeurs ainsi que des revues lui avaient emboîté le pas : microbe, Décharge, La Nuit Myrtide, les éditions Cousu main, Ficelle, La Pointe sarène, Gros Textes, les Carnets du Dessert de Lune, le Pédalo ivre… puis des éditeurs plus conséquents : Alma éditeur et enfin Le Castor Astral…

Je suis content pour lui. Il le mérite. Il a toujours eu une production impressionnante, ce depuis le début. Cela me souffle encore aujourd’hui. Mais les chantiers d’écriture de Thomas Vinau se sont aussi diversifiés, prenant de l’ampleur puisque même si le terreau de sa poésie s’appuie toujours sur « l’éphémère du quotidien », l'auteur y a aussi davantage ajouté de la fantaisie et de la singularité qui ont contribué à faire décoller le « petit ordinaire » de nos existences.
Thomas a aussi su cheminer dans les livres en prenant le meilleur des poètes : Brautigan, De Cornière, Carver, Perros, Rick Bass, Guillevic… en le digérant et en le réinsufflant, avec sa sensibilité propre, dans ses propres textes.

C’est aussi ça tout l’art d’un poète : celui de nous ouvrir à toute autre chose qu’à son petit moi subjectif, à ouvrir notre cœur étriqué, jusqu’à nous faire rebondir dans le cœur d’autres « clochards célestes » merveilleux, que Thomas Vinau affectionne et qui l’ont conforté et accompagné, lui-même, dans son itinéraire poétique.

Quand un poète entre en poche, on dit qu’il devient déjà un classique ! Mais je suis sûr que cela ne changera absolument rien pour Thomas Vinau. Sa poésie était déjà là en lui, dès le début, comme une simple évidence. Elle rayonnait aussi autour de lui dans sa cosmogonie quotidienne : la lumière du Sud, la nature inviolée, sa douce et « pépite » compagne, leur marmaille espiègle, son potager et petites bêtes, la bouille de son grand chien tendre et sa caverne de livres où il largue les amarres, chaque jour, pour débusquer à l’aube, comme « un braconnier » ou « un pêcheur de pierres », les petites notes fugitives du poème. Celles qui l’aident à reprendre souffle et à « boire l’alcool gris du ciel », à mordre le monde à pleines dents et « à cueillir le soleil comme un abricot. »…

 Un extrait :

Amortisseurs

Le pigeon sur les tuiles chaudes
la porte grande ouverte
les parfums mélangés
contradictoires
du bouquet de jacinthes
et de la tarte au poulpe
qui rougit dans le four
cette minuscule incongruité
presque tendre
qui amortit en un instant
la tornade brûlante
du grand bordel autour

> Commander le recueil chez votre libraire préféré(e).

Etc-iste, le blog principal de Thomas Vinau

jeudi 11 mars 2021

J’espère qu’elle lira ce poème… #7

carnet
Elle s’appelait Laure
je ne me souviens plus du tout
d’elle sinon qu’elle était de Montpellier
elle était douce et discrète (avec
des yeux couleur de jais)
me souriait avec parcimonie
me rassérénait même parfois
sans le savoir
l’année précédente elle était
sortie avec un de mes potes
Jean-Marc Pottier
de Coudekerque/Branche
je pense qu’on s’aimait bien
sans oser se le dire
je pense que j’ai loupé
le coche comme on dit
surtout quand je me suis
retrouvé, seul avec elle,
dans la grande tente de camping
familiale
d’un ami dont les parents
étaient partis ailleurs
boire l’apéro chez les voisins
d’autres dunkerquois
du camping sans doute
nous étions intimidés
tous les deux ce jour-là
n’avions pas apprécié
non plus qu’on tâche
de nous forcer la main
comme si on avait voulu nous
voler ce moment
précieux
où la douceur d’être ensemble
nous suffisait
j’ai gardé ses nom-prénom
dans un petit carnet
déchiré par le temps
(c’est dire qu’elle a dû
compter, elle aussi)
et cette page-là, pourtant, depuis,
a disparu
mais son souvenir, lui, s’est accroché
obstinément,
beau et impérissable,
au-delà de ce vieux carnet défraîchi.

mardi 9 mars 2021

Serge Gainsbourg (1928-1991)

« Je parle de cul, je parle de baise, ce n’est pas un scandale. C’est une fonction animale. Il faut faire avec. Qui baise qui ? Quelle importance ? Des hommes, des femmes, on s’en fout. (...) Vous savez combien de millilitres d’éternité nous avons à vivre… alors qu’on nous foute la paix. Je suis sincère avec moi-même. Et c’est pour ça que je suis là depuis 25 ans. »

Serge Gainsbourg (1928-1991) interviewé, le 8 octobre 1984, sur Soir 3 par Henry Chapier pour la sortie de son album Love on the Beat.

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© Photo de Serge Gainsbourg par Tony Frank.

lundi 8 mars 2021

J’espère qu’elle lira ce poème… #6

fille-6
Elle m’avait invité à un feu de camp
pour le départ de ses amis
Elle m’avait dit de venir la retrouver
là-bas
je buvais un verre au restau-lac
ce soir-là et mes meilleurs amis
sentaient bien qu’il
se passait alors quelque chose
de plus grand que moi
quand je suis arrivé elle m’attendait
accroupie près du feu
tout semblait prédestiné entre nous
et si un jour parfait avait existé
sur Terre il me semble alors que c’était
celui-là et pas un autre
Elle m’a dit je n’ai pas envie de rester ici
très longtemps
viens on s’en va et on est parti tous les deux
dans la nuit sur cette route qui montait
sous les lampions du soir
où résonnait encore le rire de mes amis                       
Ils l’ont tout de suite acceptée
elle était si naturelle et si joviale
en même temps
une évidence pour moi
que l’amour nous sublimait
ce soir-là et pour tous mes amis d’ailleurs
je la revois brune et bronzée
elle est fixée pour toujours
dans l’éternité de l’instant
avec ses beaux yeux marrons
ses longs cheveux très fins
son short en jean et ses petites baskets
blanches
et cette manière si féminine
de croiser les jambes avec grâce
comme une ancienne danseuse classique
qu’elle avait été
je l’avais raccompagnée
jusqu’à son bungalow
dans la douceur inoubliable
de juillet
(où les lumières des lampadaires
n’empêchaient pas les étoiles de briller)
elle m’avait lancé sur le pas de la porte
avec impatience
et surtout beaucoup d’aplomb
tandis que je n’en finissais pas d’allonger le temps
Bon, on va peut-être s’embrasser maintenant, non ?
(qu’est-ce que tu en dis ?)
Cet amour-là quand j’y repense
vraiment
je n’ai jamais pu cesser de l’oublier.

mardi 2 mars 2021

Serge Gainsbourg, Ecce Homo (1928-1991)

serge-gainsbourg
© Photo Gainsbourg - Tony Frank
Tout le monde parle de Serge Gainsbourg. Je crois que c’est grâce à mon frangin que je l’ai connu même si son personnage d’artiste et de provocateur ne me laissait jamais indifférent à tel point que je scrutais chacune de ses apparitions dans toutes les émissions télé de l’époque.
Ma mère avait son 45 Tours sulfureux, où Jane B. émet des râles de plaisir…  et beaucoup plus tard encore, dans sa Renault 5 jaune citron, elle mettait, volume à fond, « Love on the Beat » et « Lemon Incest » en me déposant, confus, devant le passage piéton de la petite Coop, près de la gare du village, sous le regard ahuri des passants.
Un jour, je pique
le Live 86 de Gainsbourg au Casino de Paris dans les caisses de disques de mon frère, sous la table de mixage et les deux platines, sur laquelle l’artiste pose, l’air suffisant, chemise ouverte dans une pose statuaire.
Dans ma petite chambre au-dessus du garage, quand je pause le saphir de ma chaîne hifi Hitachi sur le microsillon du 33 Tours, c’est le choc, la vraie révélation : la puissance des mots et un univers poétique moderne, à part entière, qui rentre en alchimie totale avec la musique. Sorry Angel, I’m the boy, Dépression au-dessus du jardin, Marilou sous la neige, Oh my lady héroïne…
En avril 1988, j’ai 16 ans. Je suis dans la fosse de la Foire commerciale de Lille, où j’assiste au concert de Serge Gainsbourg de la tournée de l’album « You’re under Arrest » où il est accompagné de plusieurs musiciens américains hallucinants, dont un bassiste black qui a le funk dans la peau et frappe les cordes de son instrument avec la technique du tapping…
J’y retrouve aussi, avec étonnement, dans la foule chahutée des premiers rangs, Anne-Sophie Serré, une des plus jolies filles de ma classe de Lycée ! Mais je prends la mouche quand Gainsbourg, s’allumant clope sur clope, avec son briquet zippo, entre deux chansons, dans un nuage de fumée, lance dans notre direction :
« Ça va les pisseuses, les pisseux ! » alors que c’était mon dieu, me faisant soudainement trébucher du piédestal de cette adolescence dorée.
(Sacré Gainsbourg)