lundi 30 décembre 2019

« Mars poétique » à la Médiathèque départementale du Nord

En mars 2020, nous poursuivrons la médiation poétique dans le cadre de la 6e édition des lectures-rencontres poétiques de la Médiathèque départementale. À cette occasion, plusieurs événements auront lieu dans le Département avec 5 poètes invités (sans esprit de chapelle) durant tout le mois de mars et chaque lecture-rencontre-dédicace sera gratuite pour tous !
Le programme des manifestations sera dévoilé dès la rentrée.

Depuis 2014 : Sophie G. Lucas, Marlène Tissot, Frédérick Houdaer, Grégoire Damon, Simon Allonneau, Éric Dejaeger, Jean-Yves Plamont, Fanny Chiarello, Hélène Dassavray, Estelle Fenzy, Heptanes Fraxion et Pierre Tilman sont passés chez nous.

On les connaît 
depuis un peu mieux...

En attendant, je vous dis à bientôt et souhaite à chacun et chacune d'entre vous tous mes bons vœux (en poésie et partout ailleurs) avec un texte qui relate, justement, l'un de ces bons moments :


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   Perdre le Nord ou le retrouver
avec Sophie G. Lucas

   Doux dingue.
   Les quatre jours passés dans le Nord ont été du doux dingue. Doux dingues les poètes invités. Doux dingues les lectures. Doux dingues les publics. Doux dingues les paysages. Doux dingue Lille. Doux dingue Dunkerque. Bière bleue et poésie rouge, rater ma correspondance entre Paris et Lille car train bloqué dès potron-minet par des manifestants sur la voie, le port de Dunkerque, la chapelle des pêcheurs, les pirates et les corsaires, le rire de Fred, les détenus du centre pénitentiaire de Maubeuge, les lourdes portes de la prison, le ciel jamais vu aussi large en sortant, le beau Vieux-Lille, la douceur bleue de Marlène, parler parler parler rire rire rire rire dire dire dire la poésie, la route, le merveilleux verbe encyclopédique de FX, la sévère institutrice qui-n’aimait-pas-la-poésie-qui-dit-des-gros-mots, la conduite parfaite et attentive de Stéphane sauf quand il a démarré alors que j’avais encore un pied dehors, le sable gris la plage plate de Dunkerque, le sourire de cette fille lors de la deuxième lecture, les usines au bord de la mer, l’âpreté de Dunkerque qui me fait penser à Saint-Nazaire, les vitraux de la cathédrale de Notre-Dame-de-la-Treille à Lille et soleil dedans quelle chance, les hommes chapeaux à fleurs bas résille et robes colorées dans les rues de Dunkerque à la nuit tombée seuls ou en groupe rejoignant une fanfare un bar des amis, les épiphénomènes du carnaval de Dunkerque qui n’en finit pas de finir, « L’ART EST SIMPLEMENT LA PREUVE D’UNE VIE PLEINEMENT VÉCUE » en lettres lumineuses sur le bâtiment du FRAC de Dunkerque, lu en escaladant des grillages pour sortir d’un parking sang bleu comme Chimay, le monde plus doux plus dingue parce que nous parlons des heures de poésie, Carver Brautigan Bukowski, arracher quelques feuilles du carnet Moleskine et noter des noms de poètes, gens de polar, ne jamais en finir avec la littérature, la lecture de nos poèmes par de jeunes déficients intellectuels à la bibliothèque centre de Dunkerque, notre émotion, leur cadeau, le froid dans la chambre d’hôtel, le froid dehors, le froid souvent quand même, se rappeler les élections et ne pas avoir un bon pressentiment, lire L’apiculture selon Samuel Beckett de Martin Page dans une petite brasserie face cathédrale à Lille, le minuscule ascenseur de l’hôtel, nous quitter gorges serrées le soir, et le matin, maudire mon appétit de livres quand il faut porter le sac, le train qui fait demi-tour au tiers du voyage qui ne peut aller plus loin pour cause de vol de câbles une heure de retard, la poésie rend les journées élastiques. Je perds le Nord et la boussole. Temps géographies doux dingues.
De l’ouest, je repars dans deux jours vers le sud, l’art est simplement la preuve d’une vie pleinement vécue.

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Extrait : Assommons les poètes !, Sophie G. Lucas, Éd. La Contre Allée, coll. Les Périphéries, 2018, 10 €.

Sophie G. Lucas :
Poète nantaise, Sophie G. Lucas est née en 1968 à Saint-Nazaire. Lancée par la revue Décharge en 2005 avec la plaquette ouh la géorgie, révélée ensuite avec son recueil Nègre blanche (Le dé bleu, 2007), Prix de Poésie de la ville d’Angers, elle a notamment publié aux éditions des états civils : moujik moujik (2010) et notown (2013 ).
Elle partage aujourd'hui  son écriture entre une démarche autobiographique et intime, et une approche sociale et documentaire.

Dernières publications :
Paradise (avec Jean Marc Flahaut), Éd. Interzone[s], octobre 2019.
DésherbageÉd. La Contre Allée, coll. Un Singulier Pluriel, 2019.
TémoinÉd. La Contre Allée, coll. La Sentinelle, 2016.

Un chouette entretien de Sophie G. Lucas expliquant son travail poétique à l'occasion de l'édition 2016 du Printemps des Poètes à Rennes.

dimanche 22 décembre 2019

Jean-Claude Dubois, poète très discret

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Poète rare et discret, Jean-Claude Dubois est né en 1954 dans le Nord. Il a publié six recueils depuis 1974. Pudique, il parle plus des autres que de lui-même. Depuis quatre ans, nous habitons le même village. Avant cela, nous ne nous étions vus qu’une seule fois en dix ans.
Il ne sait pas que je lui dois une fière chandelle : c’est par son truchement que j’ai commencé à fréquenter en 1991 la poésie hexagonale (et surtout régionale) grâce à ses nombreuses critiques au sein de Rétro-Viseur. Dès mes 20 ans, il fut, en effet, un de ceux qui contribua à aiguiser, voire à accélérer ma connaissance en matière de poésie contemporaine.

Nous ne partageons pas forcément les mêmes terres poétiques (encore que je n’en sois pas si sûr) mais, même si tel était le cas, cela n’est pas bien grave puisque nous avons le même enthousiasme pour les poètes et la poésie.

Jeudi dernier - lorsque nous nous sommes revus pour la deuxième fois - j’étais aussi content que lui.  Il m’a parlé de Paul Vincensini, poète d’humour grinçant qui l’avait, en quelque sorte, intronisé en le publiant à l’âge de 20 ans. Du poète et universitaire, Serge Brindeau, qui l’avait aussi fortement impressionné et auquel on doit une des plus fabuleuses anthologies de poésie qui soit : La poésie contemporaine de langue française depuis 1945 parue en 1973, d’Yves Martin et, à mon évocation de Jean L’Anselme, il a, à son tour, souri de bonheur.

Mais « l’homme ne doit pas faire oublier le poète » ni le passeur

Jean-Claude Dubois a reçu en 1988 le Prix Kowalski pour Le Bois d’absence et publié ensuite, en 1993, L’Épine et sa mésange, qui a beaucoup plu à la poétesse Estelle Fenzy. 

Pour ma part, c’est le recueil, Le Canal, publié en 1999 chez Cheyne, son fidèle éditeur, qui m’a définitivement convaincu. Ce recueil insolite reconvoque l’enfance du poète, près d’un Canal. Cette évocation du canal (à la fois confident et ange gardien, source de fascination-répulsion, de tristesse et d’ennui aussi) entraîne avec lui tout un lot de réminiscences, et un passé plutôt solitaire et âpre que le poète suggère, avec beaucoup d’acuité et de délicatesse, comme dans l’extrait suivant :

    À plat ventre sur le chemin de halage, la tête effleurant l’eau, tout me semblait disproportionné. Mon passé, mes souvenirs et plus que tout, mes ancêtres, qui vivaient à la surface du canal sans même que je m’en aperçoive.

    Je suis resté là, suffisamment de temps, pour apprendre par cœur la moitié de l’enfer. L’autre ne m’appartenait pas encore. Je l’ai vécue comme une part de deuil, comme une empreinte qui s’ennoblissait en s’effaçant.

En 2007, Jean-Claude Dubois publiait un recueil plus étonnant, Leurs adorables, qui s’appuie sur l’écoute attentive de la musique classique : Chopin, Bach, Schubert, où écriture et musique se répondent, s’interpénètrent...

Sans faire de bruit, Jean-Claude Dubois est également toujours attaché à faire œuvre de passeur. En 1998, il avait rédigé : Le Silence parle ma langue, une chaleureuse et essentielle présentation critique de 24 poètes du Nord-Pas-de-Calais aux éditions Rétro-Viseur, dont il s’était volontairement exclu, et qui lui avait demandé trois ans de préparation.
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Depuis 2016, il codirige avec Jean-François Manier la collection verte chez Cheyne éditeur et il ne manque pas d’évoquer, lors de nos retrouvailles, des jeunes poètes comme Emmanuel Echivart, Jean-Baptiste Pedini, Loïc Demey ou Jean d’Amérique…

En retraite, depuis trois ans, je constate que son enthousiasme pour la poésie n’a pas du tout vieilli. Son dernier recueil vient juste de paraître. Il ne m’en a même pas parlé. Plus attentif aux autres qu’à lui-même. Il avoue « pratiquer peu internet et pas du tout les réseaux sociaux ». Préférant découvrir les nouvelles voix sur papier et dans la vraie vie, sans doute, où il reprend chaleureusement feu.

Une chose pour quoi je suis né : photographies, vraies fictions et semi-vérités, Jean-Claude Dubois, Cheyne, Hors Collection, 2019, 23 €.

jeudi 5 décembre 2019

François-Xavier Farine, Jean Marc Flahaut et Simon Allonneau en lecture, ce vendredi 6 décembre 2019


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Ce sera demain soir à Lille au bistrot, Les Sarrazins, 52-54 rue des Sarrazins, à partir de 20 heures pétantes !

Pour une fois, je me suis mis en premier sur notre affiche... mais pas du tout par égocentrisme. Simplement parce que je suis le plus vieux des trois et que je suis l'organisateur de la dite soirée poétique, où j'ai vraiment hâte d'ailleurs de retrouver mes deux acolytes talentueux...
Je les ai d'abord lus avec passion, avant de les rencontrer et que chacun d'eux devienne ensuite un ami sûr et fidèle.

Ce sera une belle soirée, j'en suis sûr, j'ai tout bien peaufiné pour que ce soit le cas.


Alors, ne manquez pas ce beau rendez-vous avec trois poètes du Nord !

Je remercie, au passage, Frédérick Houdaer qui m'a véritablement poussé au cul - quand nous nous sommes rencontrés la première fois à Lille en juillet 2011 - pour que j'organise ces lectures poétiques dans le Nord. Il m'avait dit :
« F-X, tu es tout à fait légitime pour organiser ici des rencontres poétiques... » Mais je doutais encore. Il avait alors ajouté en trouvant les mots justes :
« Ce n'est pas grand-chose à mettre en place. Il suffit de trouver un ou des lieux suffisamment emblématiques pour accueillir ce genre de rencontres et le tour est joué ! »

Il fallait que ce projet chemine en moi... et, petit à petit, j'ai organisé depuis 2016 plusieurs rencontres gratuites sur la métropole lilloise : d'abord au Café Le Polder d'Hellemmes et, à partir de demain, au Bistrot Les Sarrazins de Lille, à deux pas du Marché de Wazemmes.

Là-bas, la poésie est à sa place. Elle est au coeur de la cité. Au plus près des gens qui n'iront pas forcément franchir la portes des librairies et des médiathèques. Je n'ai rien inventé.



maïakovski

Le grand poète russe, Maïakovski, lisait déjà, dans la Russie des années 20, ses poèmes dans les cafés, au milieu du peuple, réalisant même des tournées et des conférences sur la poésie. Les  poètes beat, Jack Kerouac et Allen Ginsberg, lisaient, eux aussi, en Amérique leurs textes dans les clubs de jazz, et les non moins géniaux, Charles Bukowski ou Richard Brautigan, même avinés, lisaient leurs textes devant des parterres d'étudiants et d'étudiantes enthousiastes qui riaient, réagissaient, applaudissaient...

Alors, sans se comparer bien sûr à toutes ces grandes figures de la poésie, on fait de petites lectures sérieuses (avec humour aussi), en continuant le combat pour la poésie !

A demain, donc !


dimanche 1 décembre 2019

Je me souviens #25

103-SP

Je me souviens, dans ma jeunesse, d'un type qu'on appelait Guernoulle. Il était menu et fluet, et souriait plus qu'il ne parlait. Il portait des bottes camarguaises et ses cheveux longs dépassaient sous son casque : il avait la dégaine d'une marionnette du Muppet Show.
Il sillonnait toujours les rues du village, à toute blinde, sur sa 103 SP. Un jour, j'appris qu'il avait valdingué avec sa mobylette, dans le fossé. Dans un virage, Guernoulle – aussi léger qu'une plume – avait été désarçonné par un coup de vent. (Guernoulle* au vent)

* « Gernoulle » veut dire « grenouille » en patois du Nord.