mercredi 30 octobre 2019

Daniel Fano (1947-2019) court dans le cosmos...

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Daniel Fano en 2011
(© photo Didier Lesaffre)

Cher Daniel Fano,

Tu étais un poète que j'aimais beaucoup, amical, discret, attentif, pas grandiloquent pour deux sous, mais extrêmement talentueux.

J'ai découvert tes poèmes, pour la première fois, dans l'anthologie « blue jean » de Bernard Delvaille  : La Nouvelle Poésie Française parue en 1974 puis à nouveau en 1977 chez Seghers. Tu y sortais du lot comme quelques autres poètes majeurs qui sont, depuis, devenus des amis rares, précieux, pour le jeune homme que j'étais alors...


la-nouvelle-poesie-francaise-seghers

Dans un mail de juillet dernier, tu m'indiquais, enthousiaste, que ton « dernier recueil »,  À la vitesse des nuages, allait être publié aux éditions Unes. Tu me parlais aussi de Lucien Suel, de Daniel Biga et de Pierre Tilman comme de compaňeros en poésie.

Je suis triste de cette nouvelle aussi inattendue que brutale. Mais, quand un poète meurt, ses textes s'éclairent d'une lumière plus vive, plus vraie. On relit alors ses livres, ses recueils dans le désordre des émotions. Et on s'aperçoit que le miracle de la poésie, lui, perdure toujours... 


De notre correspondant

La radio, c’est de l’histoire
ancienne, comme un caillou tombé
dans les souvenirs, dans le crépitement
des ondes longues juste après la Seconde Guerre
mondiale, quand une chanson pouvait
encore vous
sauver la vie. Aujourd’hui, j’ai l’air songeur
et les traits tirés, j’ai passé la
baraque à la tronçonneuse et je voudrais qu’on
me dise, oui ou merde, si elles
existent vraiment les prairies
du Saskatchewan.

*


Dimitri le danger


On se dit : faussaire
est un bien triste métier, même
s’il se pratique au clair
de lune
On se dit : je devrais
enfiler un manteau dûment
mis en feu
par un de mes domestiques.
Mais on ne fait rien.
On se dit : je vais
continuer d’écrire des poèmes,
légers,
si légers,
de peur de passer à travers
le plancher
ou de déranger
les fantômes.

Extraits de La nostalgie du classique, Le Castor Astral, 2003.

*


Le papier dans tous ses états

Pour le centenaire de la mort de Mallarmé, les brouillards matinaux seront fréquents et ne se dissiperont qu'à la mi-journée. L'après-midi, le soleil sera plus généreux, on aura la peur au ventre à cause d'un léopard ou d'une ville dévastée. Le soir, on pourra rêver de pureté en regardant quelques sirènes blondes manger des bananes au fond de la piscine.

bientot-la-convention-fanoExtrait de Fables et fantaisies, Les Carnets du Dessert de Lune, 2003.

*

Pour 2021, tu préparais encore une grosse anthologie de poèmes (1969-1999) constituée, me disais-tu, de 2/3 d'inédits et de textes épars jamais publiés, sinon dans des revues oubliées...

Tu ajoutais enfin, avec ton art des titres tellement fabuleux, que tu allais publier la suite de De la marchandise internationale chez Jean-Louis Massot, éditeur qui t'a renouvelé sa confiance depuis 2003, en publiant huit de tes livres.  Ce recueil devait s'appeler à l'origine : Courir dans le cosmos. Il est finalement sorti en 2019 sous le titre : Bientôt la Convention des cannibales.

Je trouve que Courir dans le cosmos est ton plus beau titre. Tu as eu raison de le garder pour une longue procession sous les étoiles.


mercredi 23 octobre 2019

Heptanes Fraxion, t'es le meilleur !


C'est la viande qui fait ça, Heptanes Fraxion, avec deux illustrations de WOOD, Cormor en nuptial éd, 2019, 12 €.

heptanes-fraxion-c-est-la-viande-qui-fait-ça


Le deuxième recueil d'Heptanes Fraxion (édité aux éditions Cormor en nuptial), enfin le troisième, après sa délicieuse petite plaquette, Et les gens continuent de tomber avec la nuit, publiée en juin 2019 chez aérolithe éditions, est tout à fait excellent !

Différent des deux premiers mais dans la continuité tout de même... Il y a à nouveau plein de poèmes percutants que j'adore, truffés d'images qui dynamitent le texte dans leur déroulé, quasiment, à chaque ligne.

Il y a aussi des poèmes où Heptanes Fraxion se livre plus, se met davantage à vif, à nu, et plus seulement et uniquement par le truchement de portraits de gens rencontrés au hasard de ses déambulations urbaines.

Dans le poème ci-dessous, par exemple, le poète n'exclut rien pour bien rendre compte à la fois de la fringale et de la violence du désir entre deux êtres et de la charge sensuelle et sexuelle qui en découle :

permaculture dans les cimetières

c'est bien nous ça 
comme neufs
comme hallucinés du cadeau de nous-mêmes
dans les rues vides de la sève violette
ou à l'hôtel comme des héros en levrette
partouze à deux

c'est bien nous ça
souffrant d'un joyeux syndrome
foutre de cheval à gueuler partout dans la gare
glacée
ou dans le fameux cabaret à larynger nos bluettes
punkoïdes avec l'alcool de nos ventres
avec la sauce de nos souffles
ou dans le calque des souterrains parsemé d'étoiles
cruciformes

nous affamés sur la route
sur les roues
sur les rails
derrière la baie vitrée du restoroute

au chaud
à se plaire dans l'écrasé de pommes de terre
et de la connexion mentale
et du poulet grillé
et de tout l'or de l'orgasme vaginal

toute une journée comme ça
contre la montre
dans le contre-jour enfumé
à bisouner nos verges à la base
et à jouer le contre dans la neige ensoleillée
joue contre joue dans des aires d'autoroutes
absolument désertes
le lundi
dans la féerie de l'industrie lourde
et dans la féerie de l'enculade

c'est bien nous ça
morts de rire en sanglots
avec le sang au volant de l'évidence qui berce
nos poitrines
euphories à faire foisonner le piano de nos poumons
fatigués

(...)

moment M
instant T

à se dire au revoir la bouche pleine de buée
avec nos voix de roues voilées
nos voix d'oiseaux tombés du ring

(...)

Pour acheter le recueil auprès de l'éditeur belge, Gaël Pietquin, c'est ici :
cormorennuptial@gmail.com

dimanche 13 octobre 2019

Lawrence Ferlinghetti né en 1919


« Ne crois surtout pas que la poésie ne sert à rien dans les époques sombres. »

Lawrence Ferlinghetti, extrait de Poésie, art de l'insurrection, 2007.


Fondateur de la City Lights Books et poète, Lawrence Ferlinghetti publia notamment
les auteurs de la Beat Generation.

mercredi 9 octobre 2019

Égaliser l'égalité


Le mec qui prend sa moto pour faire 800
mètres à pied

Le mec qui prend son fusil pour aller
chez le boucher

Le mec qui parle fort dans son bureau pour
que ses collègues l'entendent

Le mec qui met son plus beau costume
quand les grands patrons débarquent

Le mec qui rentre tard de réunion (qui était
avec sa maîtresse) et qui engueule sa femme
par-dessus le marché

Le mec qui te grille la priorité (avec un doigt
d'honneur ou sans)

Le mec qui te harcèle avec des propos
appuyés ou qui te met une main aux fesses
en riant

Ça peut être aussi une Femme


samedi 5 octobre 2019

Cécile Coulon poursuit sa vertigineuse ascension en poésie !

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Je ne peux pas résister à l'envie de publier ici cet extrait d'interview de Cécile Coulon figurant dans le dossier du futur «Prix de poésie des Découvreurs» 2019-2020. Extrêmement passionnant !

Cécile Coulon explique le titre de son livre : Les ronces c’est « quelque chose qui pique mais c’est aussi quelque chose à travers quoi il faut aller pour avoir des mûres [...] et j’ai aimé cette idée d’un végétal qui pouvait à la fois avoir un caractère protecteur et dangereux. L’idée des ronces et celle du poème étaient la même chose. Pour moi un poème c’est un texte à travers lequel on peut être blessé, on peut être piqué mais derrière lequel on trouve aussi de très belles choses, à propos de soi et à propos des autres. Il y avait un lien de parenté entre la nature et l’écriture, qui me plaisait beaucoup, sachant que la nature est un des grands thèmes de certains poèmes et puis il y avait également la sonorité du mot [...] il y a quelque chose de très vif dedans, de noir, de vert et ce sont des couleurs que j’aime beaucoup [...] et puis je me suis dit qu’un bouquet de poèmes pouvait aussi être un bouquet de ronces... c’est un peu absurde mais je trouvais ça très beau, et très poétique ».

Comment peut-on oser écrire un tel tissu d'évidences, un aussi gros bouquet de conneries ?


mercredi 2 octobre 2019

Les Mauvaises Langues font le coeur vermeil

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Les Mauvaises Langues est un très bon groupe de rock lillois qui officie, depuis une vingtaine d'années maintenant, dans le domaine de la chanson française. Des textes savoureux, du talent, de la modestie, et surtout un beau répertoire de chansons qui s'étoffe d'album en album - dont quelques-unes sont déjà des classiques chez nous - et sans doute même au-delà...

Je les ai découverts en concert pour la première fois, en 2001, au Festival des écrivains de la Villa Mont-Noir, et cela a été pour moi une vraie révélation !

Avec la sortie de ce nouvel album, j'ai retrouvé en concert (notamment sur la place d'Halluin, à la frontière franco-belge) une belle équipe de musicos unie, et des musiques entraînantes, entêtantes qui se posent parfaitement sur les textes de Philippe Moreau, leader à la voix chaude, sensible et parfois même gouailleuse...


Ce groupe festif met vraiment la banane au cœur, tout en donnant une image ensoleillée, dynamique et réjouissante du Nord-Pas-de-Calais. Ce qui n'est pas pour me déplaire...

Leur dernier album, Pourquoi, comment ?,  est sorti fin avril 2019. Après le premier titre très réussi Passager, passagère, le chouette vidéoclip du second single, Les rues de Lille, vient d'être tourné dans 
« la capitale » des Hauts-de-France, à la fois ballade touchante et hymne délicat.

Longue, très longue vie aux Mauvaises Langues qui n'en font pas des tonnes mais frappent juste en chansons !





Le site officiel du groupe

Prochain Concert des Mauvaises Langues : Jeudi 17 octobre 2019 20h au Théâtre Sébastopol de Lille.