samedi 4 avril 2020

Saint-Pol-Roux, le Magnifique (1861-1940)

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Saint-Pol-Roux est un poète injustement oublié. Même s’il disait, parfois, à ses familiers qu’« il avait fui les Hommes pour mieux se rapprocher de l’Humanité. » Même s’il fut également estimé par le passé par de nombreux écrivains comme Victor Segalen, Paul Valéry, Apollinaire, Max Jacob, Joseph Delteil, René-Guy Cadou ou Loys Masson, et même les surréalistes qui le réhabilitèrent, en 1925, dans un hommage collectif signé par Breton, Desnos, Vitrac, Leiris, Aragon et Jacques Baron dans Les Nouvelles Littéraires, puis l'honorèrent lors d’un célèbre banquet qui fit date, puisqu’il se solda par une solide castagne… que le poète quitta à la hâte.
Je n’insisterai pas sur le martyrologe qu’ont subi le poète et ses proches, dans la nuit du 23 juin 1940, et qui a certainement précipité sa fin… Mais je salue aujourd’hui la belle initiative de Bruno Geneste et Paul Sanda qui viennent de consacrer un essai à « Saint-Pol-Roux, le Magnifique ». L’ouvrage a été chroniqué par Alain Roussel dans le dernier numéro de l’excellente revue Europe n°1092 d'avril 2020. Ce dernier m’a permis de reproduire sa note de lecture sur ce blog. Je l’en remercie chaleureusement.



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Bruno GENESTE et Paul SANDA : Saint-Pol-Roux, Le cosmographe des Confins
Rafael de Surtis / Éditinter
25 Euros


Il y a des poètes qui choisissent de rester à l’écart pour mieux prendre leur élan hors du siècle où ils vivent. Indifférents aux modes littéraires, ils inventent leur propre chemin et avancent pas à pas dans des contrées rarement explorées par leurs contemporains. Saint-Pol-Roux, qui vécut à cheval sur deux siècles (1861-1940), fut l’un de ceux-là. S’il fut proche, à ses débuts, du mouvement symboliste, s’il ne renia jamais son admiration pour Verlaine, Rimbaud, Mallarmé et Villiers de l’Isle-Adam, sa propre voix le porta ailleurs et en fit un précurseur du Surréalisme, revendiqué par André Breton, admiré de Victor Segalen et de quelques autres. Loin « des faiseurs d’ignominie » de la critique parisienne, il séjournera dans les Ardennes où il parachève La Dame à la Faulx, avant de s’installer, comme guidé par des intersignes, en Bretagne, d’abord à Roscanvel, puis sur les hauteurs de Camaret où il fera construire son manoir avec lequel désormais il ne fera qu’un : « Le Manoir, c’est moi ! »

Saint-Pol-Roux fut l’un de ces « solitaires qui gardent l’équilibre du monde ». Il se faisait une très haute idée de la poésie. « Le renouvellement intégral ou partie de la face du monde caractérise l’œuvre du poète : par la forme, il s’affirme démiurge et davantage, car par la ciselure dont le revêt l’or sublime, le poète corrige Dieu », écrivait-il. Il a cherché à incarner durant toute sa vie « l’entière humanité en un seul homme », à « rassembler la pluralité des personnages en un seul individu », dans une démarche inverse, mais complémentaire – la comparaison est éclairante –, de celle de Pessoa qui préféra inventer des hétéronymes pour vivre plus intensément plusieurs personnalités. Il fut un inventeur génial de métaphores qu’il poussa jusqu’au baroque, mais il s’intéressa aussi à la science, réunissant ainsi l’imaginaire et le réel.

S’il y a une actualité de l’œuvre de Saint-Pol-Roux, elle se situe, comme elle le fut de son temps, en dehors de toute actualité immédiate pour nous parler au plus profond, murmurer à l’oreille la plus intime de notre être. C’est une voix secrète qui continue de résonner dans l’ombre grâce à la publication de ses écrits (Rougerie, Gallimard), des anthologies (Alain Jouffroy au Mercure de France), l’important travail de la Société des amis de Saint-Pol-Roux et, assez récemment, cet essai de Bruno Geneste et Paul Sanda : Saint-Pol-Roux, Le Cosmographe des Confins, avec une superbe préface de Jacques Goorma qui fit tant pour faire connaître l’œuvre du poète. Ce dernier livre, agrémenté de précieuses photos et documents, nous fait voyager dans les écrits de Saint-Pol-Roux, dressant le portrait inclassable de l’homme qu’il fut, un esprit solaire s’épanouissant dans les brumes et les paysages tourmentés du Finistère, dans la grande alliance de la terre et de la mer, du Verbe et de la Lumière. Toutes les contradictions, il les résout au creuset de son être, et Geneste et Sanda insistent sur la profonde unité de l’œuvre qui met en harmonie les sens, l’émotion et la pensée. Ils font du poète un héritier « des connaissances millénaires druidiques », à mi-chemin entre le barde et le mage. Situé à proximité des alignements mégalithiques de Lagatjar, il apparaît que le lieu où fut construit le manoir du Boultous n’a pas été choisi au hasard. « De cette confrontation avec l’élémentaire s’élabore une poétique, s’érige une théorie sur le verbe selon laquelle la poésie doit faire surgir un monde renouvelé, pour Saint-Pol-Roux cela peut s’appeler Idéoréalisme ou encore Répoétique », écrivent les auteurs. Ce que le poète est venu chercher ici, en cet endroit magnétique, c’est « la vérité du monde », faisant ainsi écho à Rimbaud qui, lui, a échoué et écrivait à la fin d’une Saison en Enfer : « il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » Spiritualiser la matière et matérialiser l’idée, associer la splendeur du vrai (Platon) à la beauté qui rend l’idée visible (Plotin), tel est la vocation poétique de Saint-Pol-Roux.

Au manoir du Boultous, face à l’océan, la poésie échappe aux livres. Bruno Geneste et Paul Sanda n’ont pas manqué de souligner la profonde attirance de Saint-Pol-Roux pour l’infini en sous-titrant leur essai : Le Cosmographe des Confins. Ils écrivent : « Le guetteur d’infini fut à la proue même de cette péninsule le dernier barde des extensions solaires, semant les intersignes de son propre destin sous l’ombre d’un destin sans fin. » En évoquant le « nomadisme poétique » du « Magnifique », ils sont devenus eux-mêmes des voyageurs itinérants à travers l’œuvre, « empruntant des sinuosités littéraires et magiques, une spiritualité discrète depuis le monde celtique original. »

Ce livre est un bel hommage à Saint-Pol-Roux, ce grand poète qui fut aussi dramaturge et qui aimait dans le théâtre surtout la tragédie. Celle-ci vint le rattraper dans la vie réelle de la plus horrible façon. Un soir du 23 juin 1940, un soldat allemand ivre faisait irruption au manoir, tuant la servante et blessant gravement le poète et sa fille, Divine. Ce terrible événement fut suivi d’un second drame : revenant en octobre à son manoir, celui-ci avait été pillé pendant son absence, ses manuscrits brûlés, anéantissant trente années de travail. Il n’y survécut pas.


Alain ROUSSEL, article paru dans la revue Europe n°1092 - avril 2020.

Commander l'ouvrage aux éditions Rafael de Surtis.

Alain Roussel :

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Alain Roussel est né en 1948 à Boulogne-sur-Mer. Il s’est intéressé très tôt à l’ésotérisme, dont l’alchimie et la cabale phonétique, et aux spiritualités orientales. Mais c’est la poésie, qu’il découvrit par la lecture, à l’âge de dix-huit ans, de Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire, Breton, Desnos, Péret, Aragon, Artaud, Michaux..., qui l’incitera à écrire. Il a publié une trentaine de livres ou plaquettes, notamment chez Plasma (Drachline), Lettres Vives, Cadex, Apogée, La Différence, Maurice Nadeau et publie régulièrement des notes de lecture dans En attendant Nadeau, la revue Europe, le site de Pierre Campion et sur son blog, Passager clandestin de la pensée.

Dernières publications :
La Vie secrète des mots et des choses, éd. Maurice Nadeau, juin 2019.
La phrase errante (avec des dessins de Sandra Sanseverino), éd. le Réalgar, 2017.
Un soupçon de présence, éd. Le Cadran ligné, 2015.
Le boudoir de la langue (avec des dessins de Georges-Henri Morin), 2015.

Le Labyrinthe du Singe, éd. Apogée, 2015.

Ésotérisme et Lexicographie avec le poète Alain Roussel à la radio sur RFI en 2019.




Extrait du film " Saint-Pol-Roux et l'Inconnu " (78 mn, Sélection Printemps des Poètes 2007).

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