lundi 29 janvier 2018

Henri Michaux (1899-1984)

J'AI VU

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    J'ai vu l'homme à la tête diverse.
    À la tête semblable au râteau, il ramasse. À la tête semblable aux racines, il pompe. À la tête semblable à un tonneau, il est penché. J'ai vu l'homme à la grenouille chaude, cherchant assouvissement, et son admirable mécanisme déclencheur qui savait le lui obtenir lui faisant prononcer alors des mots doux, d'ailleurs beaucoup trop doux.
    J'ai vu l'homme semblable à une horloge qui parlait à un homme semblable à une dague. Quelle rencontre ! Mais elle n'était pas hors de l'ordinaire.
    J'ai vu l'homme à la tête semblable à une balance, l'homme fait de moignons et de réservoirs autonomes, ou comme un cintre, l'homme aux seules épaules.
    J'ai vu l'homme à la tête pétillante, et voulant m'en approcher, je n'ai pas pu. La vérité : Je n'aurais pas voulu avoir à le nourrir, seulement le connaître et plutôt de profil et d'une certaine distance à ne pas laisser combler inconsidérément, comme on observe un tigre, sans l'adopter.
    J'ai vu les hommes en arc, têtes et corps enflés au vent de la vie. J'ai vu l'homme pyramidal, l'homme requin, l'homme attaqué par sa propre hache, faisant un avec deux, mille avec trois... ou un jugement. J'ai vu l'homme tumultueux, mais j'ai vu sa race gravissant avec sang-froid et patience le haut plateau.
     Tandis qu'elle perdait les siens, des spermatozoïdes toujours jeunets en remettaient d'autres au berceau, qui reprendraient toute chose au point voulu. Et elle les regardait et me regardait et nous regardait tous passer silencieusement.

Extrait de Ėpreuves, exorcismes (1940-1944), éd. Gallimard 1946, renouvelé en 1973.

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