« J’ai cessé d’aimer les gens car ils disaient du mal de Philippe K. Dick. »
En 2014, j’ai rédigé un long article sur la poésie de Christophe Siébert et son excellent premier recueil Poésie portable : « Christophe Siébert, l’ensauvagé »
Que l'on considère cette poésie comme une poésie « trash » ou que Christophe Siébert, lui-même, se définisse comme « un prolétaire de la littérature » empêche qu’on reconnaisse cet auteur à sa juste valeur… celle d'un véritable écrivain à découvrir autant qu'une Virginie Despentes ou que le sulfureux Pierre Bourgeade (1927-2009).
Je trouve cette poésie non consensuelle, percutante et très personnelle. J'imagine bien Christophe Siébert se dorer la coigne entre Bukowski et Houellebecq, ou buvant un coup avec Marlène Tissot et Vincent Ravalec. Sa poésie se situe d'ailleurs en marge des conventions, des réseaux et des grands poètes autoproclamés par quelques-uns ; cela aussi me ravit, je dois le dire, de plus en plus.
Toutes ces raisons suffisent-elles à faire un bon auteur ? Non, bien sûr.
Mais Christophe Siébert, lui, en est un et sa poésie - dont certains se détournent pour d’injustes raisons – détonne et doit absolument être découverte et lue dans sa globalité.
Paru en 2015 aux éditions Gros Textes, son second recueil (largement négligé par la critique poétique) s’appelle Découper l’Univers Le mettre dans des boites Reculer de vingt pas Épauler son fusil Et tirer sur les boites et contient de superbes illustrations de Lilas et Super Détergent.
Christophe Siébert y décoche des textes intraitables, prémonitoires, noirs et profonds, non exempts de dérision et d'autodérision non plus, comme dans les deux poèmes choisis pages 8 et 43 du dit recueil :
Ça va bientôt être la saison des coquelicots, par ici. À moins, je ne sais pas, que le temps pourri d’avril ne leur ait coupé l’herbe sous les pieds.
La meilleure occasion de les observer c’est en allant à Intermarché. Il faut quitter le village, traverser la voie ferrée désaffectée et longer la départementale un moment. La luminosité du ciel au bleu presque blanc, insoutenable, fait éclater le contraste entre le rouge vif des fleurs et le vert tendre de l’herbe. Ça donne envie de s’arrêter de marcher pour laisser les couleurs faire vibrer la rétine. Ça donne envie d’écouter les insectes vrombir et passer les voitures, de se dire que la vie est formidable, d’acheter de la viande et un très bon whisky. Ça donne envie de fumer des cigares après les avoir longuement reniflés. Ça donne envie de marcher sur cette route en faisant comme si elle ne menait nulle part.
Dans d’autres parties du monde il y en a qui bouclent sur leur ventre des ceintures d’explosifs et s’apprêtent à se faire sauter pour démontrer qu’ils ont raison.
Dans d’autres parties du monde il y en a qui s’interrogent sur ce qu’il est permis d’écrire ou pas en poésie et selon quelles règles ça doit l’être.
Et pendant ce temps, à Intermarché où il va bien falloir se rendre, les caissières à l’horizon bouché par le passage incessant des cons et de leurs tonnes de bouffe ignorent tout des coquelicots et du ciel aveuglant.
*
Étudier le monde qui s’écroule et se réjouir. Quelque chose dans l’air et dans certains regards, des signes et dans les rues comme un odeur de plastique cramé et d’apocalypse, vous sentez pas ? C’est un peu plus fort chaque jour et nous sommes de sacrés privilégiés d’assister à ce truc, la dernière fois qu’un monde a sombré c’était y a quinze siècles.
Se laisser porter par cette ambiance de haine, cette arrière-plan de rancœur, observer ses poils qui se dressent, l’électricité, la tension qui cherche la note juste, se laisser séduire, apprendre à reconnaitre l’odeur de la colère et celle de la trouille.
Apprendre la méfiance en marchant dans les rues, en montant dans le bus, apprendre la méfiance à minuit dans les gares, apprendre à se tenir à carreau et à baisser les yeux, apprendre l’égoïsme et la lâcheté, se découvrir doué pour ça.
Comprendre au fond de soi que cette fin du monde est une bonne chose, pigé intuitivement qu’on fait partie de l’ancien monde, de ce qui doit être détruit, pigé intuitivement que la force de vie bouillonne chez les barbares, que le sens de l’histoire est dans leur nihilisme, comprendre au fond de soi qu’être périmé dans un monde périmé n’est pas bien grave. Profiter du spectacle. Des flammes à sa fenêtre. Jouir du sang dans les rues. Anticiper le jour où le sien coulera. Se prendre pour Néron. Mais un Néron moderne, un Néron mou et pâle, un Néron avachi qui lit les faits divers, un Néron un peu rance qui lit Télérama.
Son dernier livre de nouvelles, Porcherie, est paru chez Les Crocs Électriques début 2017.
Le 22 février dernier, Christophe Siébert était invité sur radio Nova Planet pour parler de son travail et lire des extraits de ce livre. Le PODCAST de l'émission.
Le site de Christophe Siébert
Les éditions Gros Textes
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